mardi 3 novembre 2015

Quand les diables veulent pactiser ensemble

Dans Sicko, un documentaire sorti en 2007, le cinéaste Michael Moore explique comment des compagnies d'assurance-maladie savent encaisser les primes de millions d'Américains et leur refuser toute indemnité le jour où ils sont dans le besoin, en invoquant un quelconque manquement de l'assuré à ses obligations légales ou contractuelles. Le profit dans le monde de l'assurance privée ne s'en porte que mieux.

Certains lecteurs en colère contre l'establishment pourront trouver une petite consolation éphémère en observant que les cigarettiers Rothmans, Benson & Hedges (RBH) et Imperial Tobacco Canada (ITCL) semblent s'être fait faire partiellement le même coup par au moins une compagnie d'assurance.
 
Maintenant qu'un jugement de la Cour supérieure du Québec le dit, depuis juin dernier, il est facile de dire que les compagnies de tabac ont violé plusieurs lois entre 1950 et 1998 en se comportant comme elles l'ont fait. Et c'est dans ces nouvelles circonstances qu'une entente à l'amiable est intervenue entre une compagnie d'assurances générales et deux compagnies de tabac récemment condamnées pour leur violation du Code civil du Québec, de la Loi sur la protection du consommateur et de la Charte des droits et libertés de la personne.

Lundi, au palais de justice de Toronto, le liquidateur de la compagnie d'assurances Reliance, appuyé par RBH et ITCL, a demandé à l'honorable Frank Newbould de la Cour supérieure de l'Ontario de donner force de loi à un règlement à l'amiable que les trois compagnies ont conclu. Si le juge Newbould acquiesce, Reliance adoucira le chagrin des deux cigarettiers en versant une partie des indemnités auxquelles ces derniers croyaient avoir droit, et Reliance, une compagnie en faillite aura réglé une partie de ses dettes auprès de ses créanciers.

Comme d'habitude en cas de liquidation d'une entreprise, le problème est de savoir quels créanciers doivent passer les premiers. Et dans le cas présent, le problème est compliqué par un autre, celui de la « dette » des compagnies de tabac vis-à-vis de la « société ».

Lieu de l'audition
de lundi à Toronto
Devant le juge Newbould lundi, la « société » était représentée par le gouvernement de l'Ontario et par un avocat des recours collectifs de fumeurs québécois. (Et derrière le gouvernement ontarien, cinq autres gouvernements provinciaux canadiens.)

Le gouvernement ontarien a compris que l'effet recherché de l'entente à l'amiable est que l'argent versé par le liquidateur de Reliance à RBH et Imperial Tobacco Canada pourrait partir à l'étranger pour les coffres des maisons-mères respectives Philip Morris International et British American Tobacco, AVANT de pouvoir satisfaire au moins partiellement les réclamations de plusieurs dizaines de milliards $C présentées aux filiales canadiennes par les gouvernements provinciaux canadiens, réclamations qui visent à recouvrer le coût des soins de santé liés au tabac depuis la création des régimes d'assurance-maladie publics. Au surplus, les gouvernements canadiens ne veulent pas renoncer à leur possible droit de créanciers sur l'actif de la compagnie d'assurance. Conclusion: le Procureur général de l'Ontario est contre l'entente à l'amiable soumise à l'approbation du tribunal.

De leur côté, même si les collectifs de victimes québécoises du tabac ont gagné la semaine dernière une manche contre RBH et Imperial devant la Cour d'appel du Québec, ils estiment qu'une telle entente ne devrait pas être approuvée par la justice en Ontario parce que cela serait injuste pour d'autres Canadiens, en l'occurrence les victimes québécoises des pratiques commerciales honteuses des compagnies de tabac canadiennes.

Dans sa relation de l'audition de lundi devant la Cour supérieure de l'Ontario, la blogueuse Cynthia Callard, présente dans la salle d'audience ce jour-là, n'a pas manqué de noter que le juge Newbould, du temps où il était avocat, a déjà défendu les intérêts de JTI-Macdonald, la troisième plus importante compagnie de tabac au Canada. Par ailleurs, la salle d'audience où le juge Newbould entendait les parties se trouve dans l'ancien siège social d'une compagnie d'assurance. Au vu de la photo, les Québécois pourraient trouver à l'édifice une certaine ressemblance avec celui d'une autre compagnie d'assurances, celui, à Montréal, de la Sun Life Insurance Company, de triste mémoire. Mais ne soyons pas supersititieux.

Voici une liste de compagnies d'assurances auprès de qui Rothmans, Benson & Hedges et Imperial Tobacco Canada ont souscrit des polices.

ACE MI Insurance
Affiliated FM Insurance Company
AIG Commercial Insurance Company of
AllState Insurance Company of Canada
American Home Assurance Company,
American Re-Insurance Company
Canadian Indemnity
Chards Insurance Company of Canada
Cigna Insurance Company of Canada
Continental Insurance Company
General Accident Assurance Company
Guardian Insurance Company of Canada
Hartford Fire Insurance Company
Home of New York
INA Insurance Company of Canada
Intact Financial Corporation
Kansa General Insurance Company
La Nordique Compagnie D'Assurance Du Canada
Liberty Mutual Insurance Company
Lloyd's of London Toronto Office
Markel Insurance Company of Canada
New Hampshire Insurance Company
Northbridge Insurance
Northumberland General Insurance Company
Royal & Sun Alliance Insurance Company of Canada
Royal Insurance Company of Canada
Scottish & York Insurance Company Limited
Sun Alliance Insurance
The Commonwealth Insurance Company
The Continental Insurance Company of Canada
The Halifax Insurance Company
United States Fire Insurance Company
Zurich Canada
Zurich Insurance Company