mardi 2 juin 2015

TROIS COMPAGNIES DE TABAC SONT DÉCLARÉES FAUTIVES ENVERS DES FUMEURS ET SONT CONDAMNÉES À DE LOURDES PEINES

(édition révisée)

Dans l'affaire opposant les trois principaux cigarettiers du marché canadien à deux groupes québécois de fumeurs et anciens fumeurs atteints de dépendance, d'emphysème ou d'un cancer au poumon ou à la gorge, l'honorable J. Brian Riordan de la Cour supérieure du Québec a rendu public son jugement final lundi après-midi.
J. Brian Riordan, J.C.S.

Le tribunal conclut que les compagnies Imperial Tobacco Canada ltd (ITCL), Rothmans, Benson & Hedges inc. (RBH) ainsi que JTI-Macdonald Corp. (JTIM) ont commis de graves fautes en vertu du Code civil du Québec, de la Loi sur la protection du consommateur et de la Charte des droits et libertés de la personne, notamment en manquant à leur devoir de ne pas causer de préjudice à autrui et au devoir d'un fabricant d'informer ses clients des risques et dangers de ses produits.

Le juge Riordan condamne les trois cigarettiers à verser un dédommagement compensatoire moral de 15,5 milliards $ aux fumeurs ou anciens fumeurs de cigarettes atteints d'emphysème ou d'un cancer au poumon ou à la gorge (recours Blais/CQTS). (Ces sommes comprend des intérêts courus depuis 1998.)

Le jugement ne prévoit aucun dédommagement moral pour les victimes de la dépendance (recours Létourneau) « puisque la preuve ne permet pas d'établir d'une façon suffisamment exacte le montant total des réclamations des membres ».

Le juge condamne les défenderesses à verser 131 millions $ en dommages punitifs aux membres du recours Létourneau. Cependant, puisque plus de 900 000 Québécois sont potentiellement concernés par le règlement de ce recours collectif, le juge Riordan refuse de procéder à la distribution d'un montant d'environ 130 $ à chacun, au motif que ce serait onéreux et impraticable, et il déclare qu'il statuera plus tard sur la manière de débourser la pénalité.

En tenant compte de la capacité de payer des compagnies et des 15,5 milliards déjà prévus comme dédommagement moral aux membres du recours Blais, le juge limite à 30 000 $ par compagnie le dommage punitif à leur être versé.

Le tribunal a aussi ordonné le dépôt dans un compte en fiducie d'un montant de 1 131 090 000 $ afin de pourvoir à l'exécution provisoire du jugement, qu'il y ait ou non des appels.


Des questions tranchées

Tel qu'il l'avait annoncé aux parties, le juge Riordan s'est notamment employé à répondre à une série de questions empruntées au jugement d'autorisation des recours collectifs et du procès qui fut prononcé en février 2005 par l'honorable Pierre Jasmin de la Cour supérieure du Québec.

Globalement, les réponses se présentent ainsi:
  • Oui,durant la période considérée de 1950 à 1998, les compagnies défenderesses ont fabriqué et mis en marché un produit nocif pour la santé des consommateurs.
  • Oui, les défenderesses avaient connaissance des risques et des dangers associés à la consommation de leurs produits, et dès le début de la période considérée.
  • Non, les défenderesses n'ont pas choisi d'utiliser du tabac avec un ratio élevé nicotine/goudron avec pour but d'augmenter la dépendance. Elles ont suivi la politique du gouvernement fédéral canadien qui voulait diminuer les dégâts du tabagisme chez les personnes incapables d'arrêter de fumer, en faisant abaisser la teneur en goudron de chaque cigarette sans diminuer d'autant la dose de nicotine recherchée par le fumeur pour satisfaire son manque.
  • Oui, les défenderesses ont banalisé les risques et dangers du tabagisme et omis de divulguer ce qu'elles savaient à ce sujet, durant l'ensemble de la période.
  • Non, les défenderesses n'ont pas mis sur pied des stratégies de marketing qui véhiculaient de fausses informations sur les caractéristiques des cigarettes. Par contre, la publicité induisait en erreur les consommateurs inexpérimentés en véhiculant généralement des images de personnes attirantes et d'apparence saine, tout en brodant sur les thèmes de l'indépendance, de l'élégance, de la romance, de l'aventure ou du sport.
  • Oui, les défenderesses ont conspiré dès 1962 pour empêcher que les utilisateurs de leurs produits soient informés des risques inhérents à leur consommation.
  • Oui, les défenderesses ont porté atteinte au droit à la vie, à la sécurité et à l'intégrité des membres des recours collectifs, et ce n'était pas par accident mais par un choix de faire passer le profit avant la santé.
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Le jugement de 276 pages, en comptant les annexes, est rédigé en anglais, mais le juge a ordonné une traduction française.

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NOTE RÉDIGÉE EN OCTOBRE 2016:  
La version du jugement final maintenant en ligne sur le site de la Société québécoise d'initiative juridique (SOQUIJ) contient une version française qui commence immédiatement après la version originale anglaise. L'hyperlien donné en début de notre relation est toujours le bon. Une fois sur la bonne page de la SOQUIJ, on peut télécharger une version Word du jugement et voir que la version française commence à la 278e page du fichier.