jeudi 20 mars 2014

219e jour - Jour de débats. Incertitudes sur le calendrier.

(CyC)
Au procès au civil des trois principaux cigarettiers du marché canadien, la demi-journée d'audition de jeudi a été un mélange déjà vu de débats formels, de négociations informelles et de vifs échanges sur le déroulement concret des prochaines semaines.

Tandis que la preuve en défense tire à sa fin, puisqu'il ne reste plus que trois témoins-experts à faire témoigner, le mystère plane quant à la façon dont se joueront les prochains actes. Quand exactement les avocats de la partie demanderesse vont-ils présenter leur contre-preuve (c'est-à-dire leur riposte à la preuve en défense)? Quel cadre le juge va-t-il imposer aux parties pour la présentation de leurs plaidoiries récapitulatives finales ? Est-ce que la défense d'Imperial Tobacco Canada va finalement, tel qu'annoncé, faire défiler des fumeurs et anciens fumeurs à la barre des témoins, et cela même si la Cour d'appel du Québec décide finalement de soutenir la décision du juge Riordan, lequel a refusé que la défense de la compagnie puisse exiger de ces témoins-là qu'ils apportent leur dossier médical au tribunal ?

Tous ces enjeux étaient susceptibles de charger l'atmosphère des débats et ont effectivement alimenté la discussion, mais pour quelqu'un comme moi, qui n'avait pas sous les yeux les documents écrits auxquels les parties ont fait référence, beaucoup de mystère a subsisté. Malgré tout, je suis raisonnablement confiante que peu de questions ont été tranchées. Si quelqu'un sait ce qui va se passer avec ce procès en mai, il ne l'a pas dit.


Le calendrier et les derniers témoins de la défense

Il semble exister peu d'incitatifs pour la défense à parvenir à la fin du présent procès, et les témoins qui restent à appeler sont sans cesse reportés à plus tard dans le calendrier. Maladie, fête juive, problèmes personnels, conflit d'horaire, toutes les excuses y passent.

calendrier du 20 mars 2014
pour le reste de mars et le mois d'avril
Une nouvelle semaine sans audition est apparue aujourd'hui. Il n'y aura donc pas d'audition durant les deux premières semaines d'avril.

Le tribunal a été informé, sur un ton feutré, comme si la question avait déjà cessé d'être d'une grande importance, que les avocats Simon Potter et Lyndon Barnes ne vont finalement pas être appelés, à témoigner pour le premier, et à compléter son témoignage de 2012 pour le second. Un intéressant contre-interrogatoire ne pourra donc pas avoir lieu !


La contre-preuve de la partie demanderesse

Pour autant que nous sachions, les recours collectifs ont toujours l'intention d'appeler ou de rappeler trois experts à la barre pour contrebalancer les témoignages des derniers mois: le psychologue Paul Slovic va répliquer aux vues de Kip Viscusi sur les mises en garde sanitaires; l'épidémiologue Siemiatycki répondra aux attaques des deux dernières semaines contre son rapport d'expertise, et peut-être que l'historien de la cigarette Robert Proctor reviendra aussi.

Mais quand ? Ce n'est pas encore fixé.


Témoignages de fumeurs du Québec

Une des raisons de l'incertitude au sujet du calendrier de la contre-preuve, c'est l'incertitude au sujet de la convocation de fumeurs et d'anciens fumeurs concernés par cette action en justice. La défense va-t-elle les faire comparaître après la contre-preuve des demandeurs ou vont-ils comparaître d'abord, ce qui serait le cours normal des événements dans un procès en recours collectif ?

Imperial Tobacco est la seule compagnie qui planifie d'appeler à la barre des fumeurs et anciens fumeurs. J'ai entendu aujourd'hui que la compagnie avait identifié quelques uns des individus qu'elle souhaite faire témoigner. Me Suzanne Côté, qui pilote cette opération pour le compte d'Imperial, a annoncé qu'elle fournirait la liste à la partie adverse la semaine prochaine.

Avant de convoquer ses témoins, Me Côté a dit vouloir savoir si la Cour d'appel va statuer en faveur de sa requête pour casser la décision du juge Riordan au sujet des dossiers médicaux.

Si la plus haute cour du Québec maintient le jugement de Brian Riordan d'exclure les dossiers médicaux, les témoins devraient être convoqués peu de temps après. D'un autre côté, si les juges de la Cour d'appel donne raison à Me Côté, cela risque d'être plus long et une nouvelle partie commence.

J'ai entendu aujourd'hui que ce peut prendre un temps considérable pour un témoin avant d'obtenir son dossier médical complet, et cela après que les experts des parties se seront entendus sur ce qu'il faut apporter au juste devant le tribunal.


Capacité de payer: on veut voir l'argent

Une des questions qui reste à discuter au procès, c'est de savoir combien les compagnies ont d'argent pour payer d'éventuelles dédommagements. Ce débat n'apparaît pas encore au calendrier des tâches à accomplir, mais les discussions d'aujourd'hui laisse entrevoir que ce sera un vif débat.

La capacité financière à payer est un facteur-clef dans la détermination des montants de dommages punitifs, précise le Code civil du Québec à l'article 1621:
Lorsque la loi prévoit l'attribution de dommages-intérêts punitifs, ceux-ci ne peuvent excéder, en valeur, ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive. 
Ils s'apprécient en tenant compte de toutes les circonstances appropriées, notamment de la gravité de la faute du débiteur, de sa situation patrimoniale ou de l'étendue de la réparation à laquelle il est déjà tenu envers le créancier, ainsi que, le cas échéant, du fait que la prise en charge du paiement réparateur est, en tout ou en partie, assumée par un tiers.

(Il y a quantité d'expressions peu employées ailleurs qu'on entend dans un tribunal québécois. La « situation patrimoniale » peut sembler une façon très particulière de parler des actifs.)

Aujourd'hui, le juge Riordan a ordonné à Imperial Tobacco Canada et à Rothmans, Benson and Hedges de fournir des états financiers à jour à la partie demanderesse. (Les versions qui seront rendues publiques seront préalablement caviardées, c'est-à-dire expurgées de divers renseignements.)

Les avocats des recours collectifs savent trop bien quelle est la situation de JTI-Macdonald. La semaine dernière, une juge de la Cour d'appel du Québec leur a refusé la permission d'en appeler devant cette Cour d'une décision du juge Robert Mongeon de la Cour supérieure du Québec de ne pas imposer à JTI-Mac de sauvegarder pour le versement éventuel de dédommagements et de peines les revenus qu'elle expédie, sous forme d'intérêts relatifs à l'usage de marques de commerce, à des compagnies de paille filiales de Japan Tobacco Inc de Tokyo.

La passe-passe de JTI-Mac pour se positionner juridiquement comme une compagnie endettée plutôt que comme une filiale rentable d'un groupe mondial fonctionne à merveille. On peut se demander ce que fait Revenu Canada devant ce qui est aussi une échappatoire fiscale.


Révision des réclamations

Il semble que plusieurs versions de la requête de la partie demanderesse pour amender sa liste de réclamations aux compagnies poursuivies ont circulé entre les parties. Le sujet avait déjà été discuté au moins deux fois dans le passé. Le juge Riordan a annoncé qu'il va bientôt statuer sur le sujet.


Les plaidoiries finales

Le juge Riordan a fait circuler un canevas pour la livraison des plaidoiries récapitulatives finales. Pas pour limiter ce qui serait dit ou les sujets couverts, a-t-il insisté, mais pour créer une structure commune à chacune des représentations, ce qui va aider à passer en revue les matières abordées lors du procès.

*

Les auditions reprennent lundi. Un nouveau témoin-expert, Stephen Young, comparaîtra.


(Ce texte est une adaptation de la relation de Cynthia Callard parue dans le blogue Eye on the trials.)