mercredi 18 septembre 2013

168e jour - Combat d'arrière-garde de l'industrie sur la compensation

Pour savoir comment activer les hyperliens vers les pièces au dossier de la preuve, voyez les instructions à la fin du présent message.

(PCr)
L'industrie du tabac savait que les fumeurs de cigarettes à basse teneur en nicotine compensaient ce manque potentiel de leur drogue favorite en fumant autrement leur cigarette ou en fumant davantage de cigarettes, en s'en rendant plus ou moins bien compte.

Si des cigarettiers osaient encore prétendre qu'ils ne connaissaient pas le phénomène de la compensation, le témoin-expert de la défense qui est comparu mardi au procès en responsabilité civile des trois principaux cigarettiers canadiens, le physiologiste anglais Michael Dixon, est venu établir en long et en large qu'ils auraient dû le savoir parce que tout un lot de publications scientifiques, dont plusieurs signées par des savants faisant carrière dans l'industrie du tabac, établissaient qu'il y a un phénomène de compensation.

Cependant, s'il faut en croire M. Dixon, qui a passé un quart de siècle à l'emploi de British American Tobacco ou de Rothmans, puis comme consultant de l'industrie du tabac, cette dernière avait et a encore toutes les raisons de croire que ladite compensation est partielle, et que les adeptes des cigarettes à basse teneur en goudron et en nicotine absorbent une dose en fin de compte réduite de matières toxiques, et réduisent donc leur risque d'être malades.

(La conséquence logique et pratique d'une telle croyance, c'est que l'industrie avait donc raison de développer et d'offrir de tels produits. Curieusement, le marketeur Wayne Knox, comparu l'hiver dernier, est l'un des rares témoins sinon le seul à avoir déclaré clairement qu'il croyait à cela; les autres cadres de l'industrie, mal à l'aise, s'empressaient plutôt d'insister sur la responsabilité de Santé Canada, même si l'industrie américaine vendait déjà des produits à teneur réduite en goudron avant que les autorités canadiennes songent à cette option.)


La monographie 13

En soutenant la thèse de l'utilité des produits à basse teneur en goudron et nicotine, comme il l'a fait en défense des cigarettiers dans plusieurs procès à l'étranger durant la dernière décennie, l'expert en compensation de l'industrie va à l'encontre de ce qui est devenu en 2001 le consensus scientifique dans le monde, avec la publication de la « monographie 13 » par le National Cancer Institute des États-Unis. (Exhibit 40346.221).

(À partir de 1991, le ministère américain de la Santé et ses instituts de recherche ont publié de volumineuses monographies au sujet de la lutte contre le tababisme et du contrôle du tabac. La 13e monographie de la série, parue en 2001, traite des Risques associés à l'usage de cigarettes avec une basse teneur en goudron et en nicotine telle que mesurée par des machines à fumer. (traduction de l'auteur du blogue))

Les auteurs-clefs de cette monographie, les médecins et professeurs de médecine californiens David Burns et Neal Benowitz, concluent à l'absence de preuve que les cigarettes à basse teneur en goudron a eu la moindre retombée positive en termes de santé de la population.

Interrogé par Me Deborah Glendinning devant le juge Brian Riordan, l'expert Dixon s'est employé à montrer les faiblesses de la méthodologie du Dr Burns et surtout du Dr Benowitz, auteurs de chapitres particuliers dans la monographie.  Le physiologiste mandaté par l'industrie préfère surtout s'appuyer sur des analyses et études souvent plus anciennes qui ont l'étrange particularité d'avoir toutes été rédigées par des savants salariés ou contractuels de l'industrie, comme Geoffrey Kabat, Peter Lee et Gerhard Scherer (pièce 20010).


Souplesse, ennui, crédibilité

Bien qu'il ait autorisé Michael Dixon à utiliser de grands cartons plastifiés pour donner ses explications, une licence dont le physiologiste de 62 ans est le premier expert dans tout le procès à profiter, le juge Riordan semble préférer ne regarder que son écran d'ordinateur ou le moniteur à sa disposition à sa gauche. Le magistrat donne l'impression de s'ennuyer.

Quand il a vu arriver une ixième explication du phénomène de la compensation, le juge s'est empressé de dire qu'il retirait sa menace de se cogner la tête sur le pupitre si on lui imposait encore ce genre de témoignage. Cela dit sur un ton à demi-plaisant, avec le sourire, mais des sourcils qui laissaient poindre l'insatisfaction.

Dans ce procès, aux commandes des interrogatoires pour le compte d'Imperial, c'est, le plus souvent, tantôt Me Glendinning, tantôt Me Suzanne Côté. Souvent, le public de la salle d'audience pourrait avoir l'impression que les deux avocates ne se communiquent rien au sujet de l'humeur et des souhaits oraux du juge, et profitent de leur alternance au poste de navigation, à l'avant, pour oublier les promesses faites par l'une ou l'autre à la partie demanderesse ou au juge. Par exemple au sujet de la transmission de documents.

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Entre autres explications, l'expert Dixon a fait valoir que l'impact sensoriel de la bouffée de fumée dans la gorge du fumeur est enregistrée par le cerveau bien avant que la nicotine absorbée par le sang au niveau des alvéoles pulmonaires ne parviennent aux récepteurs du cerveau.

Ce serait la recherche d'une sensation dans la gorge qui influence le plus le choix d'une marque de cigarettes particulière par le fumeur et sa façon de fumer, bien plus que la teneur en nicotine mesurée par des machines. M. Dixon considère cependant les nombres fournis par les machines à fumer comme des indications utiles, parce qu'à défaut de dire ce qui est finalement absorbé, elles permettent de comparer les marques, de les hiérarchiser.


Un tir dans toutes les directions

Au-delà de quelques démonstrations de connaissance pointue, le rapport d'expertise de Michael Dixon en entier (pièce 20256.1) et ses explications orales pourraient cependant apparaître au juge comme une tentative surhumaine et obsolète pour maintenir de fausses controverses sur le respirateur artificiel. À propos des méfaits de la fumée secondaire, par exemple.

M. Dixon s'est aussi notamment attardé aux imprécisions bénignes du rapport d'expertise du chimiste André Castonguay, professeur de la Faculté de pharmacie de l'Université Laval. (pièce 1385)

On peut se souvenir que le chimiste Castonguay, l'oto-rhino-laryngologiste Guertin et le pneumologue Desjardins, qui témoignaient pour les recours collectifs, s'étaient fait demander, de diverses façons, s'ils appartenaient à « la religion antitabac ».

Me Glendinning a plus difficilement supporté que l'avocat Pierre Boivin des recours collectifs pose, lors de l'interrogatoire de qualification, des questions au témoin Dixon sur ses finances personnelles, pour voir si son intérêt pécuniaire ne pourrait pas nuire à son objectivité. (curriculum vitae du témoin: pièce 20256.2)

Moins chatouilleux que l'avocate d'Imperial, Michael Dixon a paru trouver naturel de reconnaître qu'il possédait des actions de British American Tobacco. C'est de toutes façons un sort qu'il partage sans doute avec de nombreux travailleurs québécois qui cotisent à un régime de retraite ou à un fonds commun de placements, mais qui ne regardent pas toujours où le fiduciaire place l'argent...

La journée de mardi s'est terminée sans que l'interrogatoire soit complété et avec des avocats des recours collectifs brûlants de hâte de commencer le contre-interrogatoire mercredi.


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Pour accéder aux jugements, aux pièces au dossier de la preuve ou à d'autres documents relatifs au procès en recours collectifs contre les trois principaux cigarettiers canadiens, IL FAUT commencer par

1) aller sur le site des avocats des recours collectifs https://tobacco.asp.visard.ca/main.htm


2) puis cliquer sur la barre bleue Accès direct à l'information
3) puis revenir dans le blogue et cliquer sur les hyperliens au besoin,
ou
utiliser le moteur de recherche sur place, lequel permet d'entrer un mot-clef ou un nombre-clef et d'aboutir à un document ou à une sélection de documents.