mardi 17 septembre 2013

166e et 167e jours - Quand Agriculture Canada cherchait à améliorer le rendement de la tabaculture

(PCr)
La journée d'audition du jeudi 12 septembre, qui était la 166e au procès intenté aux trois principaux cigarettiers du marché canadien par deux collectifs québécois de victimes alléguées du tabac, a vu se prolonger, durant une première partie de la matinée, le contre-interrogatoire de l'ancien grand patron de la recherche chez British American Tobacco, Graham Read, par le procureur des recours collectifs André Lespérance. Nous reviendrons sur certains aspects de ce témoignage lors d'une prochaine édition.

La prolongation du contre-interrogatoire du témoin Read jeudi a un peu retardé l'entrée en scène du témoin Gaétan Duplessis, dont l'interrogatoire s'est poursuivi lundi (167e jour). Cet interrogatoire a été également un peu plus long que prévu. En bout de ligne, le contre-interrogatoire n'a pas pu se terminer. M. Duplessis devra donc revenir devant la Cour, à un moment encore à déterminer.


Des chimistes, vous le saviez, et voici un agronome

Sorti du Collège Macdonald de l'Université McGill avec un baccalauréat puis une maîtrise en agriculture, Gaétan Duplessis est entré chez Imperial Tobacco Canada (ITCL) en 1981. L'agronome a pris sa retraite en 2010, alors qu'il était devenu en 2005 le chef de la division de la recherche et du développement, ce qui en faisait alors le patron de tous les chercheurs de la firme.

Le travail de M. Duplessis chez le cigarettier de la rue St-Antoine à Montréal l'a souvent mis en relation avec les chercheurs du ministère fédéral de l'Agriculture employés à la ferme expérimentale de Delhi, en Ontario.

Ce n'est pas la première fois qu'il est question à ce procès des activités de recherche d'Agriculture Canada. Nombreux sont les témoins issus de l'industrie qui ont fait des détours pour placer au moins une allusion à « Delhi » dans leurs propos.

Une bonne partie du témoignage de l'historien-expert Robert John Perrins, en août dernier (158e jour), portait sur la recherche agronomique fédérale. Me Guy Pratte, défenseur du cigarettier JTI-Macdonald, avait profité de l'occasion pour faire enregistrer plusieurs pièces au dossier de la preuve.

Avec le dissert Gaétan Duplessis à la barre des témoins, l'avocate Suzanne Côté d'ITCL en a profité pour faire verser deux douzaines de documents additionnels au dossier de la défense. (pièces 20231 à 20255)

Comme lors de la comparution de Graham Read la semaine dernière, le juge Brian Riordan a bougonné un peu par moment, parce qu'on lui sert certaines explications pour une ixième fois, par la bouche de témoins différents. Mais il a laissé faire. (Les juges, c'est comme ça, dirait Brassens.)


Le gouvernement fédéral, côté jardin

Les interrogatoires des dernières semaines et les pièces examinées (numéro 20235 et les suivantes) font émerger certaines évidences, que les avocats des recours collectifs ne cherchent d'ailleurs pas nécessairement à contredire, puisque cela ne gène pas directement leur preuve de la culpabilité de l'industrie du tabac.

La réputation du gouvernement du Canada n'en ressort pas blanche comme neige, même si les idéologues libertaires n'y trouveront pas la preuve rêvée que celui-ci est encore plus coupable que les entreprises privées aujourd'hui en procès.

1  Bien que depuis 2006, la compagnie Imperial Tobacco importe la totalité des cigarettes qu'elle vend sur le marché canadien, les feuilles de tabac cultivé au Canada qui aboutissent dans les cigarettes de Rothmans, Benson & Hedges ou de JTI-Macdonald proviennent maintenant presque toutes de souches de tabac développées par les agronomes du gouvernement fédéral, des variétés de tabac qui portent des noms comme Delgold, Delfield, Delliot, Candel, etc  (Del pour Delhi, évidemment).

Le gouvernement d'Ottawa a financé ces recherches durant des décennies. Le témoin Duplessis a expliqué que les rendements par unité de surface de ces souches de tabac sont supérieurs à ceux des variétés de tabac d'origine virginienne qu'utilisait l'industrie il y a 50 ans. Les plants de tabac poussent plus haut et ont davantage de feuilles.
extrait d'un document examiné lundi
qui montre la progression de la
teneur en nicotine des feuilles de tabac
2  Le tabac développé à Delhi a aussi une plus haute teneur en nicotine, et ce n'est pas accidentel. L'ancien chef de la R & D d'Imperial Tobacco a aussi prétendu que cela explique l'élévation, au fil des décennies, du ratio nicotine goudron des cigarettes canadiennes. M. Duplessis a même affirmé qu'Imperial avait durant un temps importé du tabac d'ailleurs pour « diluer » le mélange.

3  Quand le gouvernement, peut-être en manque de fonds, a coupé les budgets pour financer les recherches de Delhi, ce sont l'industrie cigarettière et les tabaculteurs qui se sont mis à les financer. Furent mis sur pied l'Ontario Tobacco Research Advisory Committeee (ON-TRAC), auquel succéda le Canadian Tobacco Research Foundation.

page couverture d'un rapport
de 1996 d'Agriculture Canada portant
la mention « pas pour publication »
Agriculture Canada a signé des contrats avec l'industrie: l'État fournissait les chercheurs, l'industrie gardait pour elle les résultats et pouvait les breveter. De son côté, le ministère de l'Agriculture préférait rester discret sur ses recherches.

Une partie des recherches a porté sur du tabac génétiquement modifié. La peur qu'inspirent au public les sigles OMG ou OGM est si grande que, comme le remarque Cynthia Callard dans son blogue Eye on the trials, la multinationale British American Tobacco, maison-mère d'ITCL, prend soin d'en désapprouver l'usage dans ses produits.


Un calendrier troué

Alors que le tribunal devait entendre des témoins la semaine prochaine, il n'y aura finalement pas d'audition. Depuis le début de mai déjà, le calendrier proposé par l'industrie se révèle gonflé de noms de personnes dont la défense s'avère ne pas avoir besoin aussi longtemps qu'annoncé, ou pas besoin du tout.

C'est ainsi que seulement 30 des 45 jours d'audition demandés pour cette période ont servi. Cela oblige tout de même les avocats de l'autre partie, ceux des recours collectifs, à réserver ces périodes pour le présent procès et à être moins disponibles pour d'autres causes qui pourraient être plus immédiatement payantes.

Lundi, le juge Riordan a suggéré aux avocats des cigarettiers de prévoir un « plan B », par exemple en préparant les témoins à parfois comparaître plus tôt que ce qui est prévu. Ces dernières semaines, le juge a également souvent demandé aux avocats du tabac ce que tel ou tel retour sur certains détails amenaient de pertinent à la preuve.

*

Le juge Riordan a rendu le 13 septembre dernier sa décision relative aux débats sur la pertinence d'examiner au tribunal les dossiers médicaux d'un certain nombre de membres des recours collectifs. Pour la quatrième fois, le juge a rejeté cette idée et il a donc annulé les assignations à produire de tels documents (les subpoena duces tecum) qu'Imperial s'apprêtait à envoyer. En revanche, il autorise Imperial à convoquer des membres des recours collectifs quand même, si elle le veut (son jugement)


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Pour accéder aux jugements, aux pièces au dossier de la preuve ou à d'autres documents relatifs au procès en recours collectifs contre les trois principaux cigarettiers canadiens, IL FAUT commencer par

1) aller sur le site des avocats des recours collectifs https://tobacco.asp.visard.ca/main.htm


2) puis cliquer sur la barre bleue Accès direct à l'information
3) puis revenir dans le blogue et cliquer sur les hyperliens au besoin,
ou
utiliser le moteur de recherche sur place, lequel permet d'entrer un mot-clef ou un nombre-clef et d'aboutir à un document ou à une sélection de documents.