mercredi 3 avril 2013

131e jour - Serrage de vis et serrage de boulons (mardi 2 avril)

Dans l'affaire en justice où deux collectifs de victimes de maladies des voies respiratoires ou de dépendance à la nicotine s'opposent aux trois principaux cigarettiers canadiens, le tribunal n'a pas siégé durant la dernière semaine de mars. Le juge Brian Riordan de la Cour supérieure du Québec en a profité pour mettre la dernière touche à un jugement dont il avait annoncé la teneur le 18 mars.

La décision du magistrat a déjà eu pour effet le versement au dossier de la preuve de certains mémorandas d'avocats de compagnies de tabac (voir la dernière section de notre édition relative au 127e jour). Ces documents étaient déjà depuis des années accessibles en ligne sur le site de la bibliothèque Legacy.

Donc, pas de surprise sur le contenu du jugement, sauf que cette fois-ci, le juge Riordan a assorti sa conclusion d'une sentence (théoriquement) dissuasive, ce qu'il fait rarement. Imperial Tobacco Canada devra payer certains frais.

dernière ligne du jugement du 12 mars 2013
Il n'est pas dit que cela fera changer les tactiques de défense de la puissante compagnie de tabac de la rue St-Antoine à Montréal, filiale de la multinationale British American Tobacco de Londres.  Cette petite ligne dans le jugement fait cependant plaisir du côté de la partie demanderesse, comme les blogueurs l'ont constaté lors d'une pause.

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Ce rayon de soleil a été obscurci par la décision du juge Jacques Dufresne de la Cour d'appel du Québec de convoquer le 10 juin prochain un jury de trois juges de cette Cour pour entendre la requête en autorisation de se pourvoir en appel d'Imperial Tobacco concernant les jugements de janvier dernier de l'honorable Brian Riordan. Ces jugements reposent sur une interprétation de ce dernier de la portée de l'article 2870 du Code civil du Québec et ont permis, entre autres, le versement dans le dossier de la preuve de documents dont l'auteur et les destinataires sont décédés.

D'ordinaire, ce genre de jury de juges de la Cour d'appel entend en même temps les arguments qui justifient que ce tribunal intervienne tout court et ceux qui justifient qu'il intervienne dans le sens voulu par la partie requérante. L'autre partie peut faire valoir le défaut de pertinence de la requête.


Construction de la preuve: prolongations

En attendant que la Cour d'appel se mêle des affaires du juge Riordan, ce qu'elle a très souvent refusé de faire, ce dernier continue d'arbitrer quotidiennement les inévitables désaccords sur l'enregistrement de documents au dossier de la preuve, lequel comptait déjà plus de 2700 pièces avant la journée de mardi.

À l'aube de l'année 2013, on pouvait encore s'attendre à ce que la partie demanderesse au procès ait fini de bâtir sa preuve à la fin de mars. Les avocats des recours collectifs ont cependant voulu profiter des jugements de janvier pour réenregistrer certaines pièces au dossier.

Les défenseurs des compagnies JTI-Macdonald et Rothmans, Benson & Hedges (RBH) ont montré leur sens pratique en collaborant dans plusieurs cas à ce processus, même s'ils maintiennent plusieurs objections de principe.

La défense d'Imperial se montre plus réticente, ce qui vaudra notamment aux témoins Jean-Louis Mercier et Michel Descôteaux, anciens cadres de cette entreprise, de devoir revenir chacun une troisième fois devant le tribunal, afin d'authentifier certains documents. Cela devrait avoir lieu en avril, le 23 pour M. Mercier.

L'admission de documents dans le dossier de la preuve en vertu de l'article 2870 tel qu'interprété par le juge Riordan n'est pas un exercice de tout repos.

Le juge ne fait pas seulement entendre les objections fréquentes (mais généralement brèves) des défendeurs, il lui est arrivé plusieurs fois mardi de demander à Me Gabrielle Gagné et à Me André Lespérance de justifier l'inclusion de tel ou tel document dans la preuve des recours collectifs. Les deux avocats ne sont pas toujours parvenus à le convaincre, et ont parfois décidé de laisser tomber leur demande d'enregistrer certaines pièces, sans attendre que le juge accepte une objection des défendeurs.

Plusieurs des documents admis en preuve mardi proviennent des archives du Conseil canadien des fabricants de produits du tabac (CTMC), une collection de 30 000 documents transmise aux procureurs des recours collectifs au cours des derniers mois.

Ces derniers, pour faciliter le versement de certains de ses documents dans le dossier de la preuve en demande, prévoient faire revenir cette semaine l'ancien chef des relations publiques du CTMC, Jacques LaRivière.

Plusieurs des documents enregistrés mardi ont rapport avec les préparatifs par l'industrie de sa prise de position devant une commission parlementaire à Ottawa en 1969, le célèbre « comité Isabelle ».  La défense de JTI-Macdonald, assurée par Me Patrick Plante et Me Catherine McKenzie, a invoqué le « privilège parlementaire » dont certains documents étaient selon eux l'objet. Me Kristian Brabander pour le compte de RBH et surtout Me Nancy Roberts pour le compte d'ITCL ont eux aussi soulevé diverses objections, entre autres sur le fait que certaines documents ne contenaient que des opinions, et non des faits. Lorsqu'il s'agit des conseils de firmes de relations publiques qui ont eu un rôle central dans les prises de position des cigarettiers canadiens à partir des années 1950, telles que Hill & Knowlton de New York, ou Public and Industrial Relations au Canada, le juge a rejeté les objections. Il trouve cela pertinent.

(Les nouvelles pièces seront bientôt dans la banque de données des avocats des recours collectifs.)


Autres sujets

Il a aussi été question mardi de la définition des groupes de victimes mais on n'en est pas encore au stade des plaidoiries à ce sujet.

En matinée, le juge a remarqué que les redéfinitions à donner des groupes de victimes de maladie qui présentent une réclamation, afin de les rendre plus conciliables avec les expertises scientifiques des médecins Desjardins et Guertin et de l'épidémiologue Siemiatycki, devraient être bien accueillies par la partie défenderesse puisqu'elles auraient tendance à plutôt réduire légèrement qu'augmenter le montant des indemnités collectives à verser en cas de verdict final en ce sens.  Les avocats ont de nouveau abordé le sujet mais y reviendront bientôt.

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Il a aussi été brièvement question de nouveau des parts de marché des trois cigarettiers, mais sans progrès.

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Le juge Riordan a affirmé qu'il rendra dans la semaine du 6 mai son jugement sur la requête en non-lieu des cigarettiers qui sera débattue les 29 et 30 avril. Le juge a prévenu les défenseurs de se préparer à commencer leur preuve en défense à partir du 13 mai, dans l'éventualité où il rejetterait la requête en non-lieu. (voir l'avant-dernière section de notre édition relative à la 118e journée).

Dans le calendrier esquissé par le juge, ce n'est qu'après le 27 juin que le procès serait suspendu pour la période estivale.

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Aujourd'hui, 132e journée du procès, le Dr Juan Negrete, psychiatre et expert en dépendances, est venu compléter son témoignage.

Notre prochaine édition en traitera.

Demain, jeudi, le témoin Jacques LaRivière, qui a longtemps oeuvré comme conseiller en relations publiques pour le CTMC, reviendra à la barre, lui aussi pour une troisième fois depuis un an.