mardi 4 décembre 2012

Pas deux procès, mais trois : préliminaires devant la Cour d'appel

Il y a en ce moment au Québec trois procès où les principaux cigarettiers canadiens sont impliqués. Trois.

Premièrement : celui qui dure depuis 91 jours et dont vous avez lu ici les hauts et les bas. La source est un recours en justice intenté par un collectif de victimes de la dépendance au tabac et par un collectif de victimes d'une des quatre maladies suivantes : cancer du poumon, cancer du larynx, cancer de la gorge, emphysème. Des réparations financières et un dédommagement punitif sont réclamés des cigarettiers, pour un total d'environ 27 milliards $. La requête introductive d'instance a été déposée en 2005, bien que la démarche auprès du système de justice pour permettre les deux recours collectifs avait commencé à l'automne 1998.

Deuxièmement, il y a ... Nous y revendrions plus loin.

Troisièmement, il y a l'action en justice intentée par le Procureur général du Québec contre les mêmes trois grands cigarettiers (et leurs maisons-mères au fil de l'histoire) afin d'obtenir un dédommagement d'environ 60,66 milliards $ (le dommage et les intérêts) pour les dépenses en soins de santé que le gouvernement du Québec a dû et devra effectuer, depuis le début du régime public d'assurance-maladie en 1970 et jusqu'en 2030, en rapport avec les nombreuses maladies causées par l'usage du tabac. La requête introductive d'instance a été déposée le 8 juin 2012. Le texte de cette requête sonne le glas de l'idée souvent reprise par les columnists négligents que le gouvernement et l'industrie du tabac sont des « partenaires ».

(Une précédente édition du blogue parue en juillet raconte les circonstances de cette affaire colossale.)


La validité de la LRCSS : premières phases d'une bataille judiciaire

Dans le deuxième procès en ordre chronologique, ce sont les cigarettiers qui contestent devant les tribunaux la validité de la Loi sur le recouvrement du coût des soins de santé et des dommages-intérêts liés au tabac (LRCSS), votée par l'Assemblée nationale en juin 2009 (à l'unanimité). La LRCSS est venu modifier les règles en matière de preuve admissible dans le cadre de l'action gouvernementale en justice contre les compagnies de tabac, action qui allait commencer trois ans plus tard.

Dès août 2009, les cigarettiers canadiens ont lancé devant la Cour supérieure du Québec leur contestation judiciaire de cette loi, à qui il font essentiellement le reproche d'être en contradiction avec des articles d'une loi québécoise plus ancienne et à portée plus large : la Charte des droits et libertés de la personne. Grosso modo, les compagnies de tabac ont prétendu qu'un procès sous l'empire de la LCRSS ne serait pas équitable.

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Quelques semaines plus tard, le Procureur général du Québec a répliqué par une requête en rejet de la poursuite, au motif que la LCRSS était sur le modèle d'une loi de la Colombie-Britannique qui a été reconnue valide par la Cour suprême du Canada alors même que les cigarettiers la présentait comme contraire à des dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés concernant précisément le droit à un procès équitable. Autrement dit, il y avait fondamentalement chose jugée dans cette affaire.

C'est finalement en octobre 2010, après une arabesque procédurale des cigarettiers, qu'un juge de la Cour supérieure du Québec, l'honorable Paul Chaput, a pu entendre les parties. Dans son jugement de novembre 2010, le juge Chaput a refusé de rejeter la démarche en justice des cigarettiers.

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En 2011, les compagnies de tabac ont demandé au gouvernement du Québec la communication d'une série de documents relatifs, entre autres, aux raisons qui justifiaient le législateur d'adopter la LCRSS (au lieu de prendre une autre mesure), et à l'étendue des dommages relatifs à un recours (qui n'était pas encore lancé à l'époque).

Les compagnies désiraient notamment lire les rapports des fonctionnaires des ministères, notamment la Santé et la Justice, impliqués dans le travail préparatoire au dépôt des projets de  loi qui ont précédé la LCRSS. Le ministère de la Justice voulait que les compagnies se contentent du texte de la loi, des projets de loi en première et deuxième lectures, des mémoires reçus lors de la commission parlementaire et du journal des débats, c'est-à-dire des documents publics qui sont parfois utilisés par les tribunaux pour juger des intentions législatives.

En novembre 2011, un juge de la Cour supérieure du Québec, l'honorable Clément Gascon (qui est maintenant en poste à la Cour d'appel du Québec, depuis avril dernier) a entendu les parties plaider en faveur ou en défaveur de la communication des documents préparatoires au dépôt du projet de loi.

Dans son jugement du 23 février 2012, le juge de la Cour supérieure a donné raison au gouvernement de s'objecter aux demandes de l'industrie. Au milieu d'un examen détaillé de l'affaire, le juge Gascon a notamment remarqué :


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Aujourd'hui, mardi 4 décembre, les juges Jacques Dufresne, Yves-Marie Morissette et Nicholas Kasirer de la Cour d'appel du Québec ont entendu un appel de la décision de la Cour supérieure.  Les avocats Éric Préfontaine, habituellement lié à la défense d'Imperial Tobacco, et François Grondin, défenseur de JTI-Macdonald, ont plaidé pour la requête de l'industrie.

Me Benoît Belleau et Me Francis Demers, flanqués de Me Mariline Boisvert, qui représentaient le gouvernement du Québec, ont plaidé en faveur de la décision du juge de première instance.

L'avis de la Cour d'appel devrait éclairer la Cour supérieure qui devra bientôt se prononcer sur la suspension du procès en recouvrement (le procès lancé en juin dernier) jusqu'à ce que l'affaire du procès de la loi soit plus avancée ou réglée.

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Ajout du 13 décembre : la Cour d'appel a maintenu la décision du juge de première instance.