mercredi 21 novembre 2012

86e jour - 21 novembre - Le juge Riordan accepte le versement en preuve d'un témoignage reçu par la juge Kessler en 2005

Pour savoir comment activer les hyperliens vers les pièces au dossier de la preuve, voyez les instructions à la fin du présent message.

Au printemps 2011, les avocats des recours collectifs envisageaient d'assigner à comparaître devant la Cour supérieure du Québec un Américain du Kentucky, David Schechter, qui pouvait témoigner des buts et effets de la politique de « retention » (...et de destruction)  de documents chez Imperial Tobacco à Montréal au début des années 1990.

Les défenseurs des compagnies canadiennes de tabac s'opposaient à la venue de ce témoin, lequel était un ancien avocat interne de Brown & Williamson, la maintenant défunte compagnie-soeur américaine d'Imperial Tobacco Canada (ITCL) dans le groupe mondial British American Tobacco (BAT).

Dans un jugement interlocutoire rendu le 16 mai 2011, l'honorable Brian Riordan avait endossé la citation à comparaître à être livrée à David Schechter, et la citation avait été presque aussitôt livrée en bonne et due forme, mais l'« invité » est décédé de maladie quelques jours après l'avoir reçue.

L'ennui pour les avocats des cigarettiers canadiens, et la chance pour les procureurs des recours collectifs, c'est que M. Schechter avait déjà enregistré en février 2005 son témoignage, sous serment et révisé, dans un procès présidé par la juge américaine Gladys Kessler.

(Il s'agissait de l'action intentée en 1999 par le Procureur général des États-Unis contre l'industrie cigarettière de ce pays, accusée notamment de s'être comportée comme une organisation criminelle (racket). La juge Kessler a rendu en août 2006 un long jugement très sévère et historique sur le comportement des compagnies de tabac américaines.)

Le 12 novembre dernier, au procès de Montréal, les avocats des deux côtés ont plaidé pour ou contre l'incorporation du témoignage de David Schechter au dossier de la preuve. Le différend portait essentiellement sur la portée de l'article 2870 du Code civil du Québec.

2870.  La déclaration faite par une personne qui ne comparaît pas comme témoin, sur des faits au sujet desquels elle aurait pu légalement déposer, peut être admise à titre de témoignage, pourvu que, sur demande et après qu'avis en ait été donné à la partie adverse, le tribunal l'autorise.
Celui-ci doit cependant s'assurer qu'il est impossible d'obtenir la comparution du déclarant comme témoin, ou déraisonnable de l'exiger, et que les circonstances entourant la déclaration donnent à celle-ci des garanties suffisamment sérieuses pour pouvoir s'y fier.
Sont présumés présenter ces garanties, notamment, les documents établis dans le cours des activités d'une entreprise et les documents insérés dans un registre dont la tenue est exigée par la loi, de même que les déclarations spontanées et contemporaines de la survenance des faits.
1991, c. 64, a. 2870.
Grosso modo, les avocats de l'industrie ont soutenu que le témoignage de David Schechter n'était pas nécessaire, et que l'article 2870 ne pouvait pas être invoqué pour obtenir des faits que le témoignage d'autres personnes pouvaient aussi bien apporter (pour autant que de tels témoins existent).  Les avocats des recours collectifs ont fait valoir qu'il n'y avait pas de raison de se priver d'un témoignage qui correspond justement à ce que le Code civil veut autoriser à l'article 2870.

Dans son jugement interlocutoire du mardi 20 novembre 2012, l'honorable Brian Riordan a donné raison aux demandeurs contre les défendeurs : le témoignage de Schechter fait maintenant partie du dossier de la preuve.

extrait de l'interrogatoire de David Schechter en 2005
(Les passages en italique sont apparus en 2005 lors de la
révision du témoignage par le témoin et ses avocats)
Du fait même de son côté « javellisé » par les avocats de Brown & Williamson, le témoignage de David Schechter, combiné à ceux au printemps dernier des avocats John Meltzer de BAT et Lyndon Barnes (ancien avocat d'ITCL), signe l'arrêt de mort de la thèse voulant qu'Imperial Tobacco Canada n'ait eu pour but en 1992 que de détruire des « copies » de documents. Des copies qui, comme disait le relationniste Michel Descôteaux, « encombraient les classeurs ». Pourquoi voudrait-on empêcher un tribunal ou un gouvernement de mettre la main sur des copies excédentaires ? Pourquoi au contraire ne pas les offrir au gouvernement ?

Le jugement interlocutoire de Brian Riordan ne garantit absolument pas que le juge accordera au témoignage une grande valeur probante quand il soupèsera tout le dossier au moment de son jugement final, mais le document est admis, comme si les avocats avaient pu interroger ou contre-interroger le fantôme du Kentucky.

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Dans la dernière édition de ce blogue, la comparution de David Sweanor avait été annoncée.

En fin de compte, les procureurs des recours collectifs ont décidé de ne pas appeler Me Sweanor à témoigner. Ils n'ont pas donné de raison publiquement. Le tribunal n'a siégé qu'une demi-journée.

En octobre, lors de l'interrogatoire de Patrick Fennell, un ancien grand patron de Rothmans, Benson & Hedges, on avait bien senti à quel point Me David Sweanor a commis un sacrilège, il y a un quart de siècle, en s'introduisant, légalement, en compagnie de Garfield Mahood de l'Association pour les droits des non-fumeurs, dans le sanctuaire du capitalisme ronronnant qu'est une assemblée générale régulière d'actionnaires, pour poser des questions à la direction de l'entreprise. M. Sweanor avait aussi l'idée de signaler par des lettres à l'industrie du tabac des manquements à son propre code d'auto-réglementation.

Le 31e témoin de fait au présent procès sera donc Jeffrey Wigand, un chimiste et ancien vice-président à la recherche et au développement chez Brown & Williamson au début des années 1990. M. Wigand devrait comparaître dans la semaine du 10 décembre, durant deux ou trois jours.

Les deux derniers témoins de fait, MM Cadieux et Lane, comparaîtront en 2013.

D'ici la première semaine de mars, les énergies seront surtout consacrées aux interrogatoires et contre-interrogatoires des huit témoins-experts de la partie demanderesse. Certains avocats des cigarettiers ont montré aujourd'hui qu'ils bouillaient déjà d'impatience d'en découdre avec le professeur d'histoire Robert Proctor.

En novembre et décembre : l'historien Robert Proctor ;
en janvier : le politologue et expert en sondage Christian Bourque, le professeur de marketing Richard Pollay ;
en février : le chimiste André Castonguay, le pneumologue Alain Desjardins, l'oto-rhino-laryngologiste Louis Guertin, l'épidémiologue Jack Siemiatycki ;
au tout début de mars : le psychiatre Juan Negrete

Ce calendrier est ressorti des discussions d'aujourd'hui (mercredi), mais il est sujet à révision.

Quelques débats sont aussi prévus au travers des témoignages.

Le procureur des recours collectifs André Lespérance a exprimé de nouveau sa conviction que les demandeurs auront fini au début de mars de livrer la totalité des témoignages et des documents nécessaires à leur preuve. Le juge a prévenu de nouveau les avocats des compagnies de tabac de se préparer pour commencer sans délai leur preuve en défense. Plusieurs témoins appelés par les compagnies sont connus, mais il n'y a pas la plus petite ébauche de calendrier disponible.

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Pour accéder aux jugements, aux pièces au dossier de la preuve ou à d'autres documents relatifs au procès contre les trois principaux cigarettiers canadiens, il faut commencer par

1) aller sur le site des avocats des recours collectifs https://tobacco.asp.visard.ca/main.htm

2) puis cliquer sur la barre bleue Accès direct à l'information
3) puis revenir dans le blogue et cliquer sur les hyperliens au besoin,
ou
utiliser le moteur de recherche sur place, lequel permet d'entrer un mot-clef ou un nombre-clef et d'aboutir à un document ou à une sélection de documents.