jeudi 27 septembre 2012

62e jour - 26 septembre - Sorbitol, M-7, GRAS list, ... : vous avez-dit additifs ?

Théoriquement, les choses pourraient être très simples : on cueille une feuille de tabac, on la fait sécher, puis on la hache finement, on met du tabac haché dans une feuille de papier à cigarette qu'on roule, puis on allume et on sait ce qu'on fume : du tabac et du papier à cigarette.

Le papier ne pousse pas dans les champs, et on fabrique du papier ayant différentes propriétés en suivant différentes recettes, alors parler des « additifs » dans le papier est une façon arbitraire de s'exprimer qui dépend tellement de la position occupée dans la chaîne de production de la cigarette allant jusqu'au consommateur, que c'est presque un jeu sur les mots.

Par contre, une question du genre « Y a-t-il des additifs dans le tabac des cigarettes vendues au fumeur ? » devrait pouvoir recevoir une réponse simple et univoque, peu importe qui y répond : oui, non ou je ne sais pas.

La question semble cependant embarrasser les cadres de l'industrie cigarettière interrogés lors du présent procès d'Imperial Tobacco, de JTI-Macdonald et de Rothmans, Benson & Hedges (RBH).

Heureusement que des documents écrits existent pour sauver un peu de temps.

À l'occasion du témoignage en mars dernier d'un ancien directeur des affaires publiques d'Imperial Tobacco, Michel Descôteaux, les avocats des recours collectifs avaient fait ajouter à la preuve un document daté du 1er mai 1985 qui était une déclaration solennelle du Conseil des fabricants de produits du tabac (CTMC) concernant les additifs contenus dans ses produits. (pièce 47)

On y apprenait que l'industrie utilise notamment des humectants, des agents de préservation et des aromates dans la fabrication des produits du tabac. Il était aussi mentionné que plusieurs additifs sont gardés secrets par chaque fabricant, le but étant de ne pas aider la concurrence à imiter ses trouvailles. À chaque fois qu'un des additifs nommés dans le document était aussi utilisé dans l'industrie agro-alimentaire, le texte ne manquait pas de le souligner et de banaliser ce fait, comme si on ingérait normalement les aliments après les avoir fait brûler.

Jeudi dernier, l'affaire partait mal.  Les mêmes cassettes allaient tourner.


Encore la liste du comité Hunter

Le jeudi 20 septembre, Ray Howie, un ancien directeur de la recherche et du développement des produits chez RJR-Macdonald (devenue JTI-Macdonald en 1999), avait déclaré au procureur des recours collectifs : (...) Vous savez, il y avait au Royaume-Uni un comité appelé le Comité Hunter, lequel a dressé une liste d'additifs qu'il était parfaitement approprié du point de vue de la "sécurité" (safety), comme vous appelleriez cela, d'ajouter aux cigarettes.  Alors nous utilisions avec rigueur cette liste du Comité Hunter, et si ce n'était pas sur la liste du Comité Hunter, nous ne l'utilisions pas.

D'autres témoins au procès qui nous occupe ont évoqué l'existence de la liste du comité Hunter.

Mardi dernier, Me André Lespérance, Me Pierre Boivin et Me Gabrielle Gagné ont fait examiner au témoin Howie plusieurs autres documents, avec des listes d'additifs. Il y avait la liste de Hunter, et d'autres.

Ray Howie : Le sorbitol ? Encore un additif traditionnel, cela a un goût sucré.  C'est un autre humectant, et vous en trouvez dans le dentifrice et divers aliments.  En fait, la plupart des humectants, vous les trouvez dans à peu près tous les aliments préparés que vous pouvez prendre des tablettes.  Le sorbitol était utilisé jadis, et je ne sais pas la date de ce document...
Me Lespérance : C'est 1978.
Ray Howie : 1978, d'accord.  Alors c'était encore en usage, certainement, à cette époque, et jusqu'au ...
Me Lespérance : 1985 ?
Ray Howie : ... milieu des années 1980, je présume, à moins que cela ait été retiré avant cela, je ne sais pas.
Me Lespérance : D'accord, cela aurait été... Était-ce au moment dont vous avez parlé où M. Lang (le patron de RJR-Macdonald) a décidé, en 1985, que les additifs cesseraient d'être utilisés.
Ray Howie : C'est exact.  C'est quand la décision fut prise.  Et alors, nous les avons graduellement retirés jusqu'à la fin, vers 1989.  Je pense que le dernier (additif), le DM, dont vous parliez tout à l'heure comme d'un aromate, a été retiré en 1989.
Me Lespérance : D'accord.  Maintenant, voyez-vous le M-7 ?  Savez-vous à quoi cet additif sert ?
Me Gagné : (C'est écrit) juste après le vinaigre.
Ray Howie : Oui.  Je vois cela.  Je n'ai aucune idée de ce qu'est le M-7.
Me Lespérance :  C'est mis en relation (dans une colonne sur la page du document examiné) avec ...
Ray Howie : C'est une...
Me Lespérance : ...la G.R.A.S. list.  Qu'est-ce que la GRAS list ?
Ray Howie : C'est une liste américaine, généralement vu comme une liste fiable aux États-Unis; c'est ce que les États-Unis utilisent comme directive pour les additifs au tabac.
Me Lespérance : Mais c'est pour les aliments ?
Ray Howie : Et pour les aliments, oui.
Me Lespérance : N'est-ce pas principalement pour les aliments ?
Ray Howie : Cela dépend ce que vous fabriquez.  Nous fabriquions du tabac.
Me Lespérance : Oui, mais vous ne mangez pas le tabac, vous le brûlez et vous le fumez.
Ray Howie : Non, je sais cela.
Juge Brian Riordan : La question est : est-ce que la list GRAS était typiquement utilisée pour la nourriture, aux États-Unis, savez-vous ?
Ray Howie : Oui, elle l'est.
Me Lespérance : En quoi est-ce pertinent pour le tabac que vous fumez ?
Ray Howie : Bien, nous n'avions aucune directive du gouvernement fédéral (canadien) à ce sujet, alors nous avions à établir nos propres directives.
Me Lespérance : Alors ...
Ray Howie : Alors c'est ce que nous avons fait.
(...)
Me Lespérance : Donc si un ingrédient n'était pas sur la liste Hunter, s'il était sur la liste GRAS, c'était correct.  C'était votre position ?
Ray Howie : J'aimerais savoir ce qu'est le mélange C (sur la page du document alors à l'examen)...

*
La journée d'hier (mercredi) a permis le versement comme pièce au dossier de la preuve d'un communiqué de presse émis par le CTMC le 21 avril 1994 (pièce 40017), un communiqué dont une copie avait été expédiée à Ray Howie, alors directeur de la recherche chez RJR-Macdonald. Ce document a un contenu très semblable à celui de 1985 déposé lors de l'interrogatoire de Michel Descôteaux, comme si très peu de changements étaient effectivement survenus dans les pratiques de l'industrie entre 1985 et 1994. Mais peut-être était-ce la faute d'Imperial et de RBH...

D'autres documents ont été versés en preuve.

Vers la fin de la journée, le procureur Lespérance des recours collectifs a montré qu'il ne se refusait pas d'être pressant dans ses questions au témoin Howie, quand les circonstances y invitent.

L'après-midi de mercredi s'est terminé sur une succession de contre-interrogatoires, par Me Kevin LaRoche de JTI-Mac, par Me Maurice Régnier pour le gouvernement fédéral canadien, par Me André Lespérance à nouveau.  C'était très intense, un grand moment du sport. Une consultation des 300 pages de la transcription officielle, laquelle sera vraisemblablement disponible cet après-midi, permettra de rendre compte du moment à la hauteur de son mérite, mais ce ne sera pas dans la présente édition.

Ce matin (jeudi), le tribunal entend le témoignage de Peter Hoult, un ancien grand patron de RJR-Macdonald.


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Pour accéder aux jugements, aux pièces au dossier de la preuve ou à d'autres documents relatifs au procès en recours collectif contre les trois grands cigarettiers, il faut commencer par
1) aller sur le site de la partie demanderesse
https://tobacco.asp.visard.ca/main.htm
2) puis cliquer sur la barre bleue Accès direct à l'information,
3) et revenir dans le blogue et cliquer sur les hyperliens à volonté.

Il y a aussi un moteur de recherche qui permet d'entrer un mot-clef ou un nombre-clef et d'aboutir à un document ou à une sélection de documents.