mardi 15 mai 2012

28e jour - 14 mai - Ados fumeurs, confidentialité, privilèges, etc.

C'est par l'aval que la société québécoise, comme d'autres sociétés, a commencé par s'attaquer au problème de santé publique que constitue le tabagisme.

Par l'aval, c'est-à-dire en essayant d'aider les fumeurs à arrêter de fumer et en tentant de protéger les non-fumeurs. Puis, les pouvoirs publics ont cherché de plus en plus à s'en prendre à la source du problème : le recrutement de tant de personnes humaines dans une dépendance qui les diminue physiquement peu à peu et raccourcit leur existence.

Comme on pouvait s'en douter, les cigarettiers étudiaient sous toutes ses coutures le tabagisme chez les adolescents, plusieurs années avant que les pouvoirs publics subventionnent des programmes de dénormalisation des produits du tabac, en particulier auprès des adolescents, et même avant que soient votées les premières lois pour restreindre la publicité de ces produits, ou les commandites d'événements.

Au fil de l'actuel procès des cigarettiers en Cour supérieure du Québec, particulièrement au cours des deux dernières semaines, les procureurs des recours collectifs ont tenté de faire verser dans le dossier des pièces en conviction de forts beaux documents internes des compagnies de tabac.  Tenté et souvent réussi.

Le processus serait sûrement plus captivant et instructif si le témoin des derniers jours, Ed Ricard, qui a travaillé chez Imperial Tobacco de 1982 à 2011, dont une partie de ce temps au département du marketing, s'était donné la peine de lire une plus grande part des documents que la partie demanderesse lui avait demandé de lire avant de comparaître; si sa réponse était plus souvent davantage qu'un commode « je ne sais pas » ou un « je ne me souviens pas »; ou si la question de la confidentialité de certains documents était moins souvent invoquée par lui ou les avocats d'ITCL.

Intérêt pour le tabagisme des adolescents

Nous reviendrons plus loin sur cette question de la confidentialité.  N'empêche que plusieurs documents rendus publics témoignent d'eux-mêmes des connaissances dont disposait le cigarettier de la rue St-Antoine à Montréal.

C'est le cas, par exemple, de cette Étude d'exploration qualitative du marché  des jeunes fumeurs québécois (pièce 304 au dossier de la preuve), réalisée par une boîte de consultants auprès d'élèves d'écoles secondaires en 1978, soit vingt ans avant l'adoption par l'Assemblée nationale de la Loi sur le tabac.  On peut aussi mentionner Les jeunes face à la cigarette: exploration qualitative de leurs comportements et de leurs attitudes, datée de 1982 (pièce 306).

Dans Youth Target 1987 Detailed Tabulations, un survol des statistiques directement produit par le service du marketing d'Imperial, on peut voir la relation entre les croyances et attitudes des jeunes fumeurs et la pertinence pour l'industrie de commanditer diverses activités.  Ce document (pièce 309), comme les deux autres, portait un nom de code CRY suivi d'un numéro (CRY pour Consumer Research on Youth).

S'agissant du « ciblage » des adolescents, des documents plus compromettants, discutés au tribunal mercredi dernier, ne sont pas encore accessibles au public de la salle d'audiences et aux internautes.


Baisse des taxes et profits plus juteux 

Imperial Tobacco a beaucoup profité de la baisse radicale des taxes sur les produits du tabac décidée par les gouvernements fédéral et provinciaux en février 1994, pour contrer un marché noir alors florissant, un marché noir dont les grands cigarettiers se plaignaient alors amèrement, et dont elles ont reconnu en 2008 et 2011 avoir été les empressés complices.

Une analyse produite par Ed Ricard, dont la formation n'est pas seulement en marketing mais aussi en finance, explique de la façon suivante le bond dans les profits d'ITCL en 1994 : plus de personnes ont commencé à fumer qu'en 1993 (époque de la contrebande florissante); le taux d'abandon a chuté; et des anciens fumeurs ont recommencé à fumer. pièce 311

Les grands cigarettiers canadiens ont aussi davantage profité de la baisse de taxes de 1994 que les petits fournisseurs, les premiers accroissant immédiatement leur part de marché par comparaison aux seconds, de 92,7 % en 1992 à 97,9 % avant la fin de 1994.

Confidentialité, immunité parlementaire

Jeudi prochain, les avocats plaideront devant le juge Brian Riordan à propos de la nécessité ou non d'examiner certains documents suivant une procédure qui en protégerait plus radicalement la soi-disant confidentialité, ce qui pourrait aller jusqu'à une séance de débat à huis clos, comme dans les Parlements lors des guerres.

En parlant de Parlement, il faut mentionner qu'il y a un témoignage de Jean-Louis Mercier, un ancien chef de la direction d'Imperial, devant une commission sénatoriale à Ottawa en 1988, que les procureurs des recours collectifs voudraient bien produire devant le tribunal de Brian Riordan.  Des avocats des cigarettiers prétendent que le lieu du témoignage de Mercier le met à l'abri d'être utilisé contre sa compagnie dans un procès.

Il demeure que cette soi-disant immunité n'a pas empêché les tribunaux québécois d'admettre des documents parlementaires en preuve, lors de la contestation par les cigarettiers de la Loi réglementant les produits du tabac (loi fédérale), entre 1989 et 1995. 


Le secret professionnel et un nouveau témoin à venir cet après-midi

Aujourd'hui, les procureurs des recours collectifs voudraient interroger l'historien David Flaherty à propos de sa participation au Four Seasons Project.

Dans un document daté de septembre 1988, disponible sur le site de l'Université de Californie, on peut voir que les travaux de l'historien pour le compte de l'industrie concernaient le degré de connaissance qu'avait le grand public du danger des produits du tabac, à différentes époques.

Me Deborah Glendinning, avocate d'Imperial Tobacco, a fait part hier de son avis que le secret professionnel de l'avocat devrait couvrir le témoignage du professeur Flaherty.

Demain (mercredi), les procureurs des recours collectifs espèrent interroger une cadre qui avait sous sa responsabilité les bibliothécaires d'Imperial, Mme Bizzarro.



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Pour accéder aux pièces au dossier de la preuve et autres documents relatifs au procès des cigarettiers devant la Cour supérieure du Québec, il vous faut

1- d'abord aller sur le site des avocats des recours collectifs à https://tobacco.asp.visard.ca ;
2- cliquer alors sur la barre bleue intitulée « Accès direct à l'information »;
3- retourner lire le blogue et cliquer sur les liens à volonté.

Il y a aussi un moteur de recherche pour accéder à toutes les autres pièces.