mardi 3 avril 2012

9e jour - 2 avril - Décider du sort de documents ...sans que personne les ait lus ?

MeGordon Kugler (du cabinet Kugler Kandestin), pour le compte des plaignants enrecours collectifs contre les grands cigarettiers canadiens, a commencé hier àinterroger Me Roger Ackman.

Aprèsdes études de droit à l’université McGill, son admission au Barreau du Québecet une demi-douzaine d’années de pratique privée, Roger Ackman entrait auservice d’Imperial Tobacco en 1970 et en a été le conseiller juridiqueprincipal de 1972 à 1999, date de sa retraite. À titre de secrétaire de la compagnie, Me Ackman faisait aussi partie deson comité de direction et de son comité exécutif.

Dèsle début de l’interrogatoire, Roger Ackman avait admis avoir rencontré MeDeborah Glendinning, avocate d’Imperial, durant une journée et demie, en vue deson témoignage d’hier et des prochains jours.

Ausurplus, si le relationniste Descôteaux, à la toute fin de son interrogatoirepar Me Bruce Johnston en mars, avait semblé avoir pris plaisir à se retrouver àla barre des témoins au procès, comme si un public ou les relations publiqueslui manquaient dans sa retraite, l’avocat Roger Ackman, lui, n’avait pas l’airdu tout content de comparaître en Cour supérieure hier.

Lesréponses de Roger Ackman au tribunal, qui avaient le mérite relatif d’êtregénéralement brèves, n’étaient pas sans rappeler celles beuglés par lessous-officiers aux officiers dans les armées : « Yes, sir ! », « No, sir !», « I don’t know, sir ». À ceci près,qu’un peu de nervosité s’est ajouté par moment, quand les réponses arrivaientavant que les questions de Me Kugler finissent.

Avant la fin de la matinée, lejuge Riordan avait estimé que le témoin a un biais favorable à la partiedéfenderesse et a autorisé la procédure interrogatoire utilisée avec lestémoins hostiles. (Même typed’interrogatoire qu’avec Michel Descôteaux lors de sa comparution en mars.)

MeAckman, âgé de 73 ans, a été autorisé à rester assis durant l’essentiel de sontémoignage.

MeKugler a notamment voulu savoir si Me Ackman croyait que sa responsabilité, entant que membre de la haute direction d’Imperial, était de faire profiterl’investissement des actionnaires, le témoin a répondu que oui.

Maisquand Me Kugler a notamment voulu savoir si Me Ackman croyait que saresponsabilité, en tant que membre de la haute direction d’Imperial, étaitaussi de livrer aux consommateurs des produits qui ne leur causent pas deméfaits, la défense a aussitôt soulevé une objection.

Lejuge a envoyé le témoin dans le corridor, ce qui s’est produit en deux autresoccasions, afin d’éviter, comme l’avait demandé Me Kugler, que les avocats descompagnies intimées « télégraphient » des réponses au témoin.

Auretour, Me Ackman, a répondu que la cigarette est un produit légal et que touta été fait pour réduire la teneur en goudron. Me Kugler a voulu savoir si le témoin trouvait suffisant qu’un produitsoit légal pour le mettre en vente sans savoir s’il est inoffensif. Roger Ackman a dit qu’il n’avait pas à jugerdes choix des consommateurs…

Unpeu plus tard, Me Ackman a admis qu’une compagnie de tabac devait communiquerce qu’elle sait concernant les effets sanitaires de ses produits.

MeAckman croit que la nicotine crée la dépendance, mais il ne sait pas si lahaute direction d’Imperial le croyait, et il n’a pas de souvenir d’unediscussion sur le sujet, ni d’avoir suggéré à ses collègues d’en avoir une, nide la façon dont Imperial a décidé de ne pas parler de la dépendance à lanicotine, ni de qui d’autre saurait comment cette politique de mutisme avaitété adoptée.

Devantune cour de justice, il faut dire la vérité, rien que la vérité, et toute lavérité. Puisque cela ne demande pasd’effort, ne dire que la vérité devrait être facile. La mémoire peut cependant ne pas être aurendez-vous pour pouvoir dire toute la vérité.

Lamémoire a aussi manqué au témoin Ackman pour expliquer pourquoi il avait engagédes avocats externes à la compagnie pour gérer le processus de destruction dedocuments ou de copies de documents.

Leconseiller juridique en chef d’Imperial ne se souvient pas non plus si sacompagnie était opposée ou favorable au projet de loi C-51 de 1988, qui apourtant été l’objet d’un long et coûteux litige qui s’est terminé devant laCour suprême du Canada en 1995.

QuandMe Kugler a demandé à monsieur Ackman si, du temps où il était dans la hautedirection d’Imperial, celle-ci avait déjà discuté le fait que la vaste majoritédes fumeurs avaient commencé à fumer durant leur adolescence, le témoin adit : « I chose not to smoke »(J’ai choisi de ne pas fumer.)

L’interrogatoirea permis à Me Kugler de verser comme pièces au dossier de la preuve plusieurs lettres et mémos (notamment les pièces 68, 69, 71, 72, 72A et 74) qui laissent penser que le conseiller juridique Ackman étaitétroitement associé à un processus de sélection de rapports scientifiques, oude copies de ces rapports, à détruire ou à conserver.

Cependant, à chaque fois que le procureur des recours collectifs a fait allusion à rapports de recherche scientifique détruits, le témoin a continué de prétendre qu’il neles avait pas lus.

Me Kugler a demandé hier au témoin de parcourir cinq documents pour pouvoir répondre à des questions aujourd'hui.

L’interrogatoirede Roger Ackman par Me Kugler se continue aujourd’hui et permettra peut-êtrede savoir qui lisait quoi chez Imperial.


L’action parallèle aux interrogatoires

Lejugement que prononcera l’honorable Brian Riordan au terme du procès commencédevant la Cour supérieure du Québec le 12 mars ne sera pas le seul que le jugeaura rendu dans toute l'affaire. Et parconséquent, ce n’est pas le seul jugement qui puisse être porté en appel.

Lejugement sur le fond de l'affaire ne pourra évidemment pas être porté en appelavant d'être rendu, une fois la preuve et les plaidoiries finales entendues,dans environ deux ans d'ici.

Parcontre, la plupart des jugements qui concernent la procédure ou le déroulementdu procès devant son tribunal peuvent être portés en appel au fur et à mesurequ'ils sont rendus.

Avantmême le 12 mars, le juge Riordan a dû décider de plusieurs choses relatives àla présente cause.

Ainsipar exemple, en février, juste avant le procès qui était prévu, depuis l’été2011, pour commencer le 5 mars, le juge a accepté de reporter le commencement au12 mars, soit une semaine plus tard. Ila par contre rejeté les autres demandes contenues dans une motion del’industrie à l’origine de ce report. Lesdéfenseurs de l’industrie ont donc interjeté appel de la décision du jugeRiordan devant la Cour d’appel du Québec, tribunal dont la décision n’avait pasencore été rendue en date d’hier.

Àun autre moment, la défense d'Imperial Tobacco avait aussi contesté devant laCour d'appel un subpoena, c'est-à-dire un ordre de comparaître devant un tribunal,délivré à Me Roger Ackman. Lors desaudiences, les procureurs d’Imperial Tobacco n’ont pas invoqué une sorted’obligation de secret professionnel auquel Me Ackman aurait été soumis, maisplutôt la mauvaise santé de ce dernier, attesté par un médecin floridien.

Cettefois-là, le plus haut tribunal du Québec a cependant communiqué (le 15 mars) sadécision de maintenir le subpoena en question, si bien que le témoin s'estprésenté ce matin (2 avril) devant le tribunal du juge Riordan.

Cesactions en parallèle nécessitent l’intervention de plusieurs avocats desrecours collectifs. Pendant qu'André Lespérance et Bruce Johnston ou Gordon Kugler, épaulés par maîtres Philippe Trudel,Pierre Boivin, Gabrielle Gagné et Michel Bélanger, s’emploient à faire avancerla preuve devant la Cour supérieure, Marc Beauchemin (du cabinet De GrandpréChait) ou un autre coéquipier plaide de l’autre côté de la rue Notre-Dame, à laCour d’appel du Québec, pour que le procès au palais de justice de Montréalpuisse suivre son cours.

Dansla salle d’audience, à chaque matin et à chaque retour de pause, l’huissierdemande aux personnes présentes d’éteindre complètement leur téléphone mobile,et aucune sonnerie ou vibration ne s’est fait entendre après neuf joursd’audiences.

Certes,plusieurs juristes dans la salle ont un ordinateur portatif, mais l’attention de tous les disciples de Thémis semble tellement tournée, ce qui est naturel,vers la lecture des pièces au dossier et vers l’écoute de l’interrogatoire,que c’est surtout lors des pauses, dans le corridor, que la plupart desprocureurs des plaignants, des compagnies de tabac ou du gouvernement fédéral(la troisième partie dans ce procès), apprennent les bonnes ou les mauvaisesnouvelles du reste du monde. C’est aussile moment où les blogueurs sortent d’un procès que le juge a comparé à …unsous-marin.