mardi 20 mars 2012

5e jour - 19 mars - Contradictions et incohérences émergentes


Au printemps dernier, Me Michel Bélanger, de l’un des cabinets juridiques (Lauzon Bélanger Lespérance) qui pilotent depuis 1998 les recours collectifs des victimes des pratiques de l’industrie du tabac, racontait à l’auteur de ce blogue qu’en demandant des documents internes aux cigarettiers, il fallait tenter d’être précis et rester prudent, de peur d’en recevoir trop et d’être noyé.  La tactique du raz de marée a souvent été utilisée par l’industrie du tabac aux États-Unis.

Le vendredi 9 mars, soit moins trois jours avant le début du procès, les procureurs des requérants au procès des cigarettiers ont reçu 2800 documents en provenance de la défense, une masse de documents dont il a fallu faire l’analyse depuis lors, afin d’y trouver les éléments de preuve que les demandeurs espéraient originalement y trouver, … ou d’autres perles. 

Hier, en ouverture de la deuxième semaine, Me Bruce Johnston (du cabinet Trudel et Johnston, cabinet également associé à la cause depuis 1998) a déclaré que plusieurs de ces documents allaient nécessiter le prolongement de l’interrogatoire de Michel Descôteaux.  Le rôle-clef de M. Descôteaux dans les relations publiques et affaire publiques d’ITCL s’étire sur une trentaine d’années (grosso modo de 1972 à 2002).

Le poids de l'avis des médecins

La semaine dernière, Michel Descôteaux avait dit que sa compagnie ne donnait pas d’avis médical au grand public, faute de crédibilité auprès des masses selon lui, mais qu’à une personne en particulier qui était troublée par le conseil de son médecin d’arrêter de fumer et qui demandait à Imperial Tobacco un avis, la compagnie suggérait d’écouter le conseil du médecin.

Me Bruce Johnston a voulu savoir pourquoi la compagnie n’avait pas donné un avis similaire dans le cas d’Alcan en 1980, soulevé la semaine dernière.  (Imperial Tobacco a pris la peine d’aller contrecarrer l’initiative antitabagique du service médical et du service des ressources humaines de la compagnie d’aluminium au Lac St-Jean.)  L’ancien patron des relations publiques d’ITCL a dit qu’il ne savait pas ce qu’il pouvait répondre à cela.

Me Johnston a voulu savoir de Michel Descôteaux qui, aux yeux d’Imperial, jouissait de crédibilité en matière de santé.

La Société canadienne du cancer ?  Réponse : oui.  Le Surgeon General des États-Unis ?  Oui.  L’Organisation mondiale de la santé ?  Oui.  Le gouvernement, du moins Santé Canada ?  Oui.

Or, la position commune de ces organismes, c’est que le tabac cause des maladies, position endossée par l’unanimité des juges de la Cour suprême dans un arrêt du 21 septembre 1995 (voir l'article 31 du jugement).

Aux yeux de l’ancien chef des relations publiques d’ITCL, ces organismes sont crédibles lorsqu’ils parlent des effets du tabagisme mais pas quand ils préconisent, par exemple, de bannir la publicité des produits du tabac ou d’utiliser les taxes comme dissuasif.

Tactiques

L’interrogatoire de Michel Descôteaux par Me Johnston a été fréquemment interrompu par les procureurs des cigarettiers.  Me Johnston s’est demandé si ce n’était pas une manière de transmettre des directives au témoin sur sa façon de répondre.  Pour sa part, Me Deborah Glendinning, avocate d’ITCL, trouve que Me Johnston déforme les faits lors de ses questions.

Il y a eu à la Cour des discussions sur l’inclusion ou non parmi les pièces en preuve de documents sur lesquels le procureur des demandeurs n’a posé au témoin que des questions d’authentification, comme par exemple cet enregistrement d’une entrevue radiophonique d’un ancien président d’Imperial, Paul Paré.

Décision d'adulte ?

En octobre 1987,  Descôteaux a écrit à Bill Neville, alors le spécialiste des relations d’ITCL avec le gouvernement, concernant la préparation d’auditions sur le projet de loi C-204.  Descôteaux suggérait des questions que les porte-parole de la compagnie pourraient se faire poser, notamment une qui pourrait se référer à Eagle Star, une compagnie d’assurance-vie possédée par BAT qui offre des rabais sur les primes aux non fumeurs.  M. Descôteaux a dit à Me Johnston qu’il ne savait pas lui-même quelle réponse il fallait apporter à ces possibles questions.

Il n’a pas souvenance du nombre d’années d’espérance de vie que le tabagisme soustrait à une personne.

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Me Johnston, parmi les nombreuses questions qu’il a posées à l’ancien directeur des relations publiques d’ITCL, a demandé si l’opération Carte d’identité visait à encourager la consommation des jeunes.  Pas à ma connaissance, a répondu Michel Descôteaux.

M. Descôteaux a aussi mentionné une position classique de l’industrie, qui prétend que la décision de fumer est une décision d’adulte.  Plus tard, il a dit que pour sa compagnie, adulte signifiait 16 ans et plus.

Si c’est une décision d’adulte, pourquoi était-ce contre la politique d’ITCL en 1988 de ne pas encourager les adultes à fumer ?, a demandé Me Johnston.  Michel Descôteaux a répondu qu’il ne le sait pas.  Il suppose que c’est à cause des risques pour la santé. 

L'interrogatoire de Michel Descôteaux se poursuit aujourd'hui.