vendredi 16 mars 2012

4e jour - 15 mars - Quand les relations publiques se mêlent de science

Dans son jugement du 21 février 2005 autorisant les recours collectifs contre les cigarettiers et prévoyant la tenue d’un seul procès, le juge Pierre Jasmin avait identifié huit questions auxquelles le procès qui s’est ouvert lundi dernier devrait permettre de répondre. 

L’une des questions se lit comme suit : les défenderesses ont-elles banalisé ou nié ces risques et ces dangers [les risques et dangers associés à la consommation de leurs produits] ?

Au terme d’une première semaine de travail à la Cour supérieure, dont un troisième jour d’interrogatoire, il est sûrement encore trop tôt pour juger définitivement et sans nuance de la conduite de chacune des trois défenderesses. 

En novembre 1980, après avoir appris qu’Alcan, fabricant mondial d’aluminium et employeur prestigieux, venait de lancer dans certains de ses établissements un programme conçu par son service médical au Lac St-Jean pour favoriser le renoncement au tabac chez les travailleurs, Michel Descôteaux a rencontré le responsable des relations publiques d’Alcan, Jacques Gagnon.

Dans un aide-mémoire destiné à des cadres d'ITC, Descôteaux décrit ainsi sa démarche :


En décembre, Descôteaux écrit à des cadres de Benson and Hedges, de Rothmans, de Macdonald et du Conseil des manufacturiers de tabac du Canada, pour leur rendre compte de l'ensemble des démarches d'ITCL auprès d'Alcan. (Le président d'ITCL a aussi écrit au président d'Alcan sur le même sujet.)

Tel que promis, le directeur des relations publiques d'ITCL envoie aussi au chef des relations publiques d'Alcan « la documentation établissant les bases scientifiques sur lesquelles se fondent les différents points de [son] argumentation

Or, Michel Descôteaux a plusieurs fois déclaré durant les derniers jours au procès se fier en matière scientifique à l'avis de Robert Gibb, le vice-président à la recherche et au développement d'ITC et un scientifique de formation.  M. Gibb, comme en témoigne un autre document interne d'ITC, estime que la crédibilité des scientifiques qui mettent en doute la validité de l'épidémiologie n'est pas élevée.  Pourtant, la documentation que Descôteaux d'ITC envoie à Gagnon d'Alcan repose essentiellement sur ce genre d'argumentation.

Alors que les dirigeants des compagnies de cigarettes prétendent qu'ils manquaient encore de preuve du caractère nocif de leurs produits en 1980, le public était censé, selon eux, déjà savoir.  La connaissance des méfaits du tabac était généralisée dans le public, a d'ailleurs prétendu Michel Descôteaux.

Les procureurs des recours collectifs ont aussi produit au tribunal un document qui montre que cette connaissance n'était pas si répandue, et que les cigarettiers le savaient très bien, grâce à un sondage qu'ils avaient fait réaliser.

En 1980, selon ce sondage, il n'y avait que 73% des fumeurs qui pensaient que la cigarette est dangereuse pour tout le monde.  6 % des fumeurs la croyaient même sans danger pour la santé. 

Lorsque le procureur Johnston a voulu savoir comment l'expert des relations publiques d'ITC conciliait les dires de l'industrie, sur le fait que tout le monde était au courant des méfaits du tabac, et les données de l'industrie sur les croyances des consommateurs, Michel Descôteaux a dit qu'il faudrait demandé aux experts en sondages du département de marketing, puis dit qu'il ne pouvait donner aucune réponse.