mercredi 19 mars 2014

216e et 217e jours - L'épidémiologiste Mundt sur la sellette

(SGa)
La 216e journée d'audition et la première moitié de la 217e ont servi à la comparution de l'épidémiologiste Kenneth Mundt. Cet homme au curriculum vitae impressionnant a été invité par la partie défenderesse à contester le rapport rédigé par le professeur Jack Siemiatycki de l'Université de Montréal (pièce 1426.1), un rapport qui se traduit par une facture salée pour les cigarettiers.

Kenneth Mundt était le deuxième expert invité à critiquer le rapport de l'épidémiologiste Siemiatycki.

Le premier, le statisticien Laurentius Marais s'en était donné à coeur joie le 12 mars dernier. Me André Lespérance et Me Bruce Johnston, avocats de la poursuite, se sont employés toute cette journée à contester les chiffres contenus dans le rapport de l'expert Marais. Mais ils n'ont pas eu la partie facile car le statisticien faisait obstruction de toutes sortes de façons en critiquant la manière dont les questions étaient posées, la qualité des photocopies, la date des documents sur le site Internet et même l'échelle des graphiques.

Pire, l'expert Marais a contesté la façon dont les intervalles de confiance sont traités dans la méta-analyse de Jack Semiatycki, affirmant que pour cette raison les résultats obtenus étaient statistiquement non fiables. Toute cette démonstration n'a pas paru très convaincante aux yeux de Cynthia Callard, auteure du blogue Eye of The Trials.


Mundt le fossoyeur

L'entrée en scène de Kenneth Mundt, les 17 et 18 mars dernier, n'a pas donné un résultat meilleur. Car à la fin de la première journée Me Lespérance l'a placé devant des contradictions qui ont eu pour effet de miner la crédibilité de son témoignage et de son rapport d'expertise. Nous allons y revenir plus loin.

Examinons d'abord le cheminement de ce 2e fossoyeur du rapport Siemiatycki. M. Mundt est un épidémiologiste américain de 54 ans qui a travaillé notamment pour le cigarettier Philip Morris. La partie défenderesse dans le présent procès lui avait confié un mandat identique à celui de M. Marais, soit de critiquer la méthodologie utilisée par le professeur Semiatycki dans sa méta-analyse, ainsi que ses conclusions.

Kenneth Mundt a travaillé pendant dix ans (1989-1999) comme enseignant au Département de biostatistiques et d'épidémiologie de l'École de santé publique de l'université du Massachusetts. Il a ensuite fondé l'entreprise Applied Epidemiology Inc, basée à Amherst, Massachusetts. Il en a été le président jusqu'en novembre 2003, moment où l'entreprise a fusionné avec Environ International Corporation. Il en est depuis le directeur de l'épidémiologie.

M. Mundt est un habitué des tribunaux. L'aisance avec laquelle il répondait aux questions embarrassantes des avocats de la poursuite, sans jamais perdre sa contenance, est là pour en témoigner. Cette aisance s'explique: il a déjà été embauché comme expert dans une douzaine de procès relatif au tabac et il a témoigné dans dix ou onze autres procès. Sa présence au présent procès sur le tabac marquait sa deuxième apparition comme témoin dans une poursuite contre des cigarettiers.


Un rapport défavorable à la thèse de Siemiatycki

Dans son rapport de 27 pages, l'expert Mundt s'est employé à démolir l'argumentaire de l'épidémiologiste Semiatycki. Il y écrit: dû à de multiples erreurs méthodologiques, les chiffres estimées pour les quatre catégories de maladies étudiées par le Dr Semiatycki (emphysème, cancers du poumon, du larynx et du pharynx, maladies que l'on attribue au tabagisme) sont peu fiables, spéculatifs et par conséquent, faux (traduction libre).

Me Simon Potter, avocat de Rothmans, Benson & Hedges, s'est d'ailleurs employé à miner encore plus la crédibilité du rapport Siemiatycki par la nature des questions qu'il a posé à son expert invité. Ces questions très pointues exigeait une réponse par un oui ou un non de la part de l'expert Mundt. Le but de l'exercice était de discréditer le rapport Siemiatycki en le faisant paraître imparfait et trompeur.

L'avocat Potter s'en est pris ensuite au questionnaire de Siemiatycki qui est beaucoup trop simpliste selon lui et selon le témoin-expert de la défense. L'expression « one question questionnaire » est revenue souvent lors de cet interrogatoire. La détermination de la cause à effet d'une maladie est un exercice assez compliqué et ne peut être validée par une seule question, a dit en substance Kenneth Mundt.

L'expert a déploré d'ailleurs, dans la conclusion de son rapport, que le professeur Siemiatycki n'ait pas tenu compte de plusieurs facteurs détaillant l'historique du fumeur qui peuvent mener à l'apparition d'un cancer (cancer de la gorge, du larynx ou du poumon) ou de l'emphysème. Comme facteurs, il y mentionne le type de cigarette fumées (ex.: légères ou régulières), l'âge à laquelle la personne a commencé à fumer, la durée de la pratique du tabagisme, la quantité de cigarettes fumées chaque jour, la durée de l'arrêt tabagique avant l'apparition de la maladie, etc.

M. Mundt a déploré aussi le fait que le rapport Siemiatycki faisait peu de cas des autres facteurs de risque qui peuvent mener à l'apparition de cancers (les cancers de la gorge, du larynx et du poumon que la documentation scientifique affirme fortement être liés à la cigarette) et de l'emphysème. Il parle ici de l'exposition au radon, à l'amiante, au chromium notamment. Selon lui, un fumeur exposé à ces substances accroît ses chances de développer un cancer ou l'emphysème et l'apparition de ces pathologies pourrait être liée à cette exposition plutôt qu'à la cigarette.

Or, lors de la 128e journée d'audition, le professeur Siemiatycki a été très clair sur ce point. Pour lui, le tabagisme augmente plus le risque d'être touché par une des quatre maladies que n'importe quel autres facteurs de risque comme la consommation d'alcool ou l'exposition à l'amiante, par exemple. Et selon l'expert des recours collectifs, il n'est pas nécessaire d'utiliser un instrument de mesure finement gradué pour en arriver à une telle conclusion.

D'ailleurs, les statistiques semblent jouer largement en faveur de la thèse de Jack Siemiatycki. En voici une, mentionnée lors de l'audience: jusqu'à 90% des cancers du poumon dans les pays où l'on trouve une masse critique de fumeurs réguliers sont attribuables au tabagisme.

Et aussi celle-ci très significative: même après 35 ans d'arrêt tabagique, le risque de développer un cancer du poumon ne retombe jamais au niveau (en %) de risque associé aux non fumeurs. Même l'épidémiologiste Mundt n'a nié pas cette évidence scientifique. Lors de la 217e journée d'audience, il a admis que la croissance épidémique du cancer du poumon est largement attribuable au tabagisme.


L'arroseur arrosé

Le coup de théâtre est toutefois survenu en fin d'après-midi de la 216e journée d'audience. Lors de son contre-interrogatoire mené par Me Lespérance, Kenneth Mundt s'est retrouvé dans l'inconfortable position d'arroseur arrosé.

Me Lespérance a présenté une étude datant de 2007 dont l'un des auteurs est M. Mundt. Cette étude intitulée An Assessment of The Possible Extent of Confounding in Epidemiological Studies of Lung Cancer Risk among Roofers (pièce 1705), cherchait à connaître les causes de l'apparition du cancer du poumon chez les couvreurs. Bien qu'elle était (il faut le dire) largement financée par des associations de couvreurs et des associations représentant l'industrie de l'asphalte, elle a établi que le tabagisme est la cause de l'apparition de ce cancer chez les couvreurs plutôt que l'exposition aux vapeurs d'asphalte.

Or, dans cette étude, on a utilisé une méthodologie semblable à celle utilisée dans le rapport du professeur Siemiatycki. Questionné par Me Lespérance sur cette apparente contradiction, l'expert Mundt a affirmé que de nouvelles techniques et de meilleures méthodes de collecte de données sont apparues depuis la sortie de cette étude en 2007. Me Lespérance a mis en doute cette affirmation en lui présentant des études récentes qui empruntent la méthodologie utilisée par Jack Siemiatycki. On parle notamment de la méthode paquet-année qui a été très contestée par Kenneth Mundt durant sa comparution.

Le lendemain matin, Me Lespérance a demandé si le témoin expert maintenait toujours son témoignage de la veille. L'expert Mundt a dit que oui. Et l'avocat a poursuivi son contre-interrogatoire en présentant à l'épidémiologiste d'autres études incriminantes.


La crédibilité du témoin mise en doute

Plus tard, lors de cette 217e journée d'audience, Me Bruce Johnston a pris la relève du contre-interrogatoire. L'avocat s'est alors employé à mettre en doute l'impartialité du Dr. Mundt. Et la question mérite examen puisque l'expert a effectivement des liens assez étroit avec l'industrie du tabac.

Me Johnston, habitué à ce genre d'exercice, a alors présenté une analyse publié dans l'American Journal of Public Health, publiée en 2001. On y mentionne comment d'importants cigarettiers comme Philip Morris ont utilisé les services d'épidémiologistes pour détruire l'argument selon lequel la fumée secondaire avait des effets néfastes sur la santé. Pour s'expliquer, Kenneth Mundt a affirmé n'avoir jamais travaillé dans l'intérêt des compagnies de tabac. J'ai toujours travaillé à améliorer la science de l'épidémiologie et cela, de façon désintéressée, a-t-il dit en substance.

Me Johnston lui a aussi présenté une étude (A new Proposal for a Code of Good Epidemiological Practices) où Kenneth Mundt s'est trouvé à travailler avec des chercheurs employés par les grandes firmes Monsanto et Dow Chemical. Me Johnston lui a alors demandé s'il voyait un problème d'éthique à cotoyer ces gens issus de l'industrie et sans doute biaisés dans leur démarche. L'expert Mundt a répondu non.