vendredi 18 octobre 2013

175e jour - Les ados voyaient-ils les annonces de tabac dans TV Hebdo ?

Pour savoir comment activer les hyperliens vers les pièces au dossier de la preuve, voyez les instructions à la fin du présent message.

(PCr)
Ce mercredi, Imperial Tobacco Canada a fait comparaître Neil Blanche, un nouveau venu dans le procès.

Souriant, grand, mince, avec une chevelure blanche et une tête d'acteur de téléroman-savon américain des années 1990, ce témoin a fait carrière chez Imperial Tobacco de 1983 à 2012, moment où il a pris sa retraite. Après avoir débuté comme représentant aux ventes, M. Blanche a occupé divers postes dans le marketing et fini par être en charge durant quelques années des achats d'espaces publicitaires.

L'interrogatoire et le contre-interrogatoire du témoin ont été notamment une occasion d'examiner devant le tribunal des listes de périodiques où la compagnie de tabac a fait à certaines époques des placements publicitaires.


Des annonces n'importe où

Dans le lot, il y avait le célébrissime TV Hebdo. Ne pouvant empêcher les avocats des recours collectifs de souligner que des annonces de cigarettes d'Imperial étaient parues dans ce périodique destiné aux télévores ordinaires de tous âges, la défense de la compagnie avait planifié d'interroger M. Blanche là-dessus, peut-être en vue d'atténuer une mauvaise impression qu'aurait créée une tentative déjouée de dissimulation du fait.

Or, pas plus tard que lundi de la semaine dernière, Anthony Kalhok, qui fut le vice-président du marketing d'Imperial de 1975 à 1979, affirmait qu'Imperial avait cessé de placer des annonces dans TV Hebdo, grosso modo parce que ce genre de publication se retrouvait trop facilement et souvent sous les yeux d'un lectorat d'âge mineur. (Après 1979, M. Kalhok est passé dans la haute direction d'Imasco, le holding qui contrôlait Imperial Tobacco et d'autres entreprises dans des domaines d'activités fort différents du tabac. En 1986, Kalhok est parti pour la brasserie Labatt.)

Cette déclaration du témoin de la défense Kalhok n'était probablement pas planifiée comme l'était de longue date le témoignage de Neil Blanche.

extrait de la pièce 300
Il appert donc que la précaution de M. Kalhok n'a pas longtemps tenu lieu de règle, à supposer qu'elle ait été appliquée après son départ.

Le témoignage du marketeur Blanche a plutôt permis au tribunal de constater que dès le mois de juin 1981, Imperial était en train d'inclure, comme si de rien n'était, TV Hebdo dans ses placements publicitaires qui ciblaient les personnes de 12 à 34 ans (voir les documents de marketing versés au dossier de la preuve sous les numéros 292-82 et 300)


Un code imprécis

Les explications de M. Blanche, interrogé par Me Craig Lockwood, ont visé à faire comprendre au juge Riordan que le lectorat de TV Hebdo était tout de même, en 1983 par exemple, composé de 84 % de personnes majeures (voir en page 26 de la volumineuse pièce 20307).

Ce pourcentage était très au-dessus du plancher de 75 % qui aurait fait disqualifier la publication comme débouché publicitaire, en regard du code d'autoréglementation de l'industrie cigarettière au Canada.

75 pourcent ??

Depuis le temps que l'on parle, au tribunal de Brian Riordan, des versions successives et de l'application de ce code, le public aurait pu croire que le plancher, quand il y en a eu un de précisé, avait toujours été de 85 % de lectorat adulte. C'est ce qu'il était quand le code d'autoréglementation a cédé la place à la Loi sur le tabac, votée par le Parlement fédéral canadien en 1997.

M. Blanche s'est trouvé à involontairement attirer l'attention sur le fait qu'Imperial, dans les années 1980, s'autorisait à faire de la pub dans des périodiques où presque le quart du lectorat pouvait être composé de personnes mineures.


Des limitations sans effet

Mais si le code d'honneur de l'industrie finit par paraître ou continue de paraître un insignifiant tigre de papier aux yeux du juge, ce pourrait être pour une autre raison que celle de la fluctuation de ce pourcentage.

Ce pourrait être, entre autres, parce que ce plancher de 75 % ou de 85 % de lecteurs adultes, ou, autrement dit, ce plafond de 15 % ou 25 % de lecteurs mineurs, n'empêchait pas du tout les cigarettiers de rejoindre au fil d'une année une très forte proportion de la population d'âge mineur en utilisant comme véhicule publicitaire des périodiques à grand tirage et à grande portée comme l'était par exemple TV Hebdo. La raison est qu'on peut finir de cette façon par rejoindre une plus forte proportion de jeunes que par une publication dont ils seraient les lecteurs exclusifs mais qui n'est pas lue par des masses de jeunes. (En ce sens, une annonce dans le télé-horaire d'un quotidien comme La Presse ou Le Soleil a pu rapporter plus que dans le magazine Croc.)

Lors de son contre-interrogatoire de Neil Blanche, Me Philippe Trudel s'est employé, peut-être avec succès, à démontrer au juge, chiffres de l'industrie à l'appui, que des millions de jeunes Canadiens ont vu les annonces de cigarettes dans TV Hebdo. L'examen des nombres absolus de mineurs exposés à la pub dans TV Hebdo fut l'un des rares moments de la journée où des interruptions et objections ont pu perturber l'avancement de la preuve. Autrement, l'atmosphère a été studieuse. Le témoin n'a pas paru trop nerveux, sauf quand il éclatait d'un rire très sonore.


Un code peu contraignant

exemple d'une annonce vue
par le tribunal mercredi et qui
était permise par le « code »
Me Trudel a aussi contre-interrogé M. Blanche sur la façon dont le code d'autoréglementation de l'industrie restreignait concrètement la publicité susceptible d'atteindre les jeunes par un canal ou un autre.

Les vitrines des points de vente et les panneaux-réclames n'ont pas été oubliés. Une abondante correspondance interne signée ou reçue par le témoin a été enregistrée dans le dossier de la preuve.

Des propos de l'ancien marketeur, il ressort notamment que:
  • des annonces d'un événement artistique ou sportif associé à la marque de cigarette d'un commanditaire et vues partout par un public de tous âges échappaient aux rigueurs du code de l'industrie du tabac du fait que les événements commandités étaient d'un faible intérêt pour les mineurs, lesquels avaient aussi rarement les moyens d'y assister (En disant cela, M. Blanche donnait l'exemple du golf et du jazz, mais pas des courses d'autos ou de motos.)
  • à moins d'être d'une dimension d'un panneau-réclame d'autoroute, une annonce de cigarette pouvait, selon le témoin Blanche, se trouver tournée vers l'extérieur dans une fenêtre d'un commerce à proximité d'une école, et respecter facilement le code;
  • le code interdisait de montrer des personnes de moins de 25 ans mais pas des personnes d'un âge impossible à déceler, et encore moins de montrer des activités susceptibles de titiller les jeunes;
  • le seul moyen pour une annonce de contrevenir à l'esprit du code voulant que les fabricants ne fassent pas d'allégations en matière de santé, ça aurait été de dire que la cigarette A est plus saine que la cigarette B;
  • la publicité faisant une référence implicite à un style de vie n'était pas interdite par la loi, alors l'industrie ne s'est pas privée d'y recourir. (La loi de 1997, que la Cour suprême du Canada a entièrement validée en juin 2007, et qui interdit explicitement ce procédé publicitaire, s'est appliquée seulement après la période de 1950 à 1998 couverte par les actions en recours collectifs.)
une autre annonce apparue sur
les écrans de la salle d'audience
et permise par le « code »


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Le procès des principaux cigarettiers canadiens reprend lundi. Après des semaines à voir défiler à la barre des témoins appelés par Imperial, on verra enfin comparaître un témoin de la défense de Rothmans, Benson and Hedges, Steve Chapman.


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Pour accéder aux jugements, aux pièces au dossier de la preuve ou à d'autres documents relatifs au procès en recours collectifs contre les trois principaux cigarettiers du marché canadien, IL FAUT commencer par

1) aller sur le site des avocats des recours collectifs https://tobacco.asp.visard.ca/main.htm


2) puis cliquer sur la barre bleue Accès direct à l'information
3) puis revenir dans le blogue et cliquer sur les hyperliens au besoin,
ou
utiliser le moteur de recherche sur place, lequel permet d'entrer un mot-clef ou un nombre-clef et d'aboutir à un document ou à une sélection de documents.