jeudi 19 septembre 2013

169e jour - L'illusionniste

Pour savoir comment activer les hyperliens vers les pièces au dossier de la preuve, voyez les instructions à la fin du présent message.

(PCr)
Au procès intenté contre les trois principaux cigarettiers du marché canadien par deux groupes de fumeurs ou anciens fumeurs qui leur reprochent leurs pratiques commerciales, les conclusions du témoin-expert de la défense Michael Dixon sont apparues plus clairement que jamais.

Selon lui, non seulement les fumeurs de cigarettes à basse teneur en goudron et en nicotine qui fumaient des cigarettes « régulières » auparavant ne compensent que partiellement quelque chose, mais ce quelque-chose, c'est plutôt le goudron que la nicotine.

Le physiologiste de formation et ancien employé de longue date de l'industrie ne semble pas se soucier de citer à l'appui de sa thèse des analyses fondées sur l'observation de minuscules échantillons de fumeurs, de retenir seulement ce qui fait son affaire dans diverses publications, au point de parfois en diffuser une vision déformée, et d'être finalement à contre-courant des conclusions des autorités de santé publique au Royaume-Uni, aux États-Unis et à l'échelle internationale.

Plusieurs fois lors du contre-interrogatoire commencé mercredi après-midi, le procureur des recours collectifs Pierre Boivin a fait dire à l'expert Dixon qu'il n'était pas d'accord avec telle ou telle conclusion d'une autorité scientifique ou d'un chercheur particulier, de sorte que le témoin a eu l'air du soldat qui croit qu'il est le seul à marcher au bon pas dans la parade.

S'il s'agissait pour la défense des cigarettiers, qui a fait appel au témoignage de M. Dixon, de contrer une preuve que les produits du tabac engendrent une dépendance, cela ne changerait rien que ce soit à cause de la nicotine ou du goudron. Le témoignage de Michael Dixon, sur ce plan, serait donc inutile.

En revanche, l'exposé de l'expert Dixon aura été utile aux cigarettiers s'il est arrivé à semer le doute dans l'esprit du juge Riordan, en suggérant que peut-être les compagnies canadiennes étaient de bonne foi en offrant des produits à teneur réduite en goudron qu'elles croyaient moins dommageables pour la santé.

Selon toutes vraisemblances, Me Boivin, relayé ensuite par son coéquipier Bruce Johnston, va donc continuer aujourd'hui de profiter de la comparution de Michael Dixon pour mettre de nouveau en évidence des preuves que la compensation annulait tous les bénéfices potentiels des cigarettes à basse teneur en goudron, ou que les compagnies comptaient depuis longtemps sur ce phénomène.

Mais en quoi le témoignage de Michael Dixon a-t-il le potentiel de semer le doute ?

Surtout par ce qu'il laisse dans l'ombre, surtout par ce qu'il ne dit pas.

Le marché de la cigarette ne se compose pas seulement de fumeurs qui ont commencé à fumer des cigarettes « régulières » dans les années 1960 et ont opté dans les années 1970 ou 1980 pour des cigarettes soi-disant légères ou douces qui avaient une teneur réduite en goudron, ou qui passaient pour telles.

Au Québec, comme les marketeurs appelés à la barre des témoins depuis 18 mois ont été forcés de l'admettre, il y a aussi de jeunes personnes qui ont commencé à fumer durant la même période et qui n'ont jamais fumé autre chose que des cigarettes à basse teneur en goudron. Peut-être ces nouveaux fumeurs s'estimaient-ils ainsi plus à l'abri des maladies que les fumeurs des générations précédentes.

En somme, la principale « compensation » dont ont profité les cigarettiers, c'est celle des nouveaux fumeurs qui remplaçaient les décrocheurs, en partie parce que l'industrie offrait un visage rassurant.

Le beau parleur Michael Dixon, lors de l'interrogatoire de la matinée par Me Deborah Glendinning d'Imperial Tobacco, nous a fait oublier l'éléphant dans la pièce en passant du temps à parler de l'impact de la fumée sur la gorge, à parler de l'inhalation plus profonde des « compensateurs », à parler des perforations dans les cigarettes à basse teneur en goudron et nicotine qui aident à diluer la fumée avec un certain volume d'air, à parler de ces fumeurs qui bouchent consciemment ou non lesdites perforations, à parler.

Reste à voir si le témoin a trop parlé.

Lors du procès que le ministère de la Justice des États-Unis a mené contre les cigarettiers au tournant du 21e siècle, c'est aussi bien ses omissions que ses déclarations qui ont fait tiquer.

Dans son blogue Eye on the trial, notre consoeur Cynthia Callard rappelle comment la juge Gladys Kessler, dans son verdict de 2006, a varlopé l'expert en compensation de l'industrie.
Pour réfuter le témoignage des Drs Benowitz, Burns, Henningfield et Farone, concernant la compensation chez le fumeur, les défendeurs se sont appuyés sur un scientifique de l'industrie du tabac, Michael Dixon, Ph. D., un employé de BATCo, pour témoigner en tant qu'expert en comportement des fumeurs. Le Dr Dixon a témoigné que la compensation n'est pas complète parce que les fumeurs compensent pour le goudron et non la nicotine. Le Dr Dixon n'est ni un docteur en médecine ni un épidémiologue; il possède un doctorat en physiologie respiratoire. Le Dr Dixon a admis que nulle part dans son témoignage écrit il n'a fait mention du sujet de la dépendance à la nicotine. Il n'a pas publié le moindre article au sujet de la dépendance à la nicotine, et il n'y a rien dans le dossier qui suggère qu'il a publié le moindre article sur la question dans une revue (scientifique) avec révision par des pairs. Sans la moindre expertise en dépendance à la nicotine, le témoignage du Dr Dixon sur la question de savoir si la dépendance à la nicotine mène les fumeurs à compenser n'est pas crédible, particulièrement quand on le compare à la preuve totalement contraire des experts du gouvernement Benowitz, Burns et Henningfield, lesquels ont une énorme expertise dans le domaine de la dépendance à la nicotine, du tabagisme et de la santé, ont écrit sur ces sujets de nombreux articles révisés par des pairs, et ont participé au rigoureux processus de rédaction de différents rapports du Surgeon General sur le tabagisme et la santé.
Le rapport d'expertise de Michael Dixon pondu pour la présente cause ne contient toujours pas d'explication sur les mécanismes d'action de la nicotine ou de mention d'une dépendance à cette drogue, comme si c'était arbitraire qu'on la distingue du goudron. Par ailleurs, en contre-interrogatoire, Me Boivin lui a fait répéter qu'il n'est ni médecin, ni épidémiologue.

Le contre-interrogatoire se poursuit aujourd'hui.

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Pour accéder aux jugements, aux pièces au dossier de la preuve ou à d'autres documents relatifs au procès en recours collectifs contre les trois principaux cigarettiers canadiens, IL FAUT commencer par

1) aller sur le site des avocats des recours collectifs https://tobacco.asp.visard.ca/main.htm


2) puis cliquer sur la barre bleue Accès direct à l'information
3) puis revenir dans le blogue et cliquer sur les hyperliens au besoin,
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