mardi 23 avril 2013

Les avocats des recours collectifs vont conclure leur preuve aujourd'hui

Même si deux recours collectifs et non un seul sont à l'origine du procès dont vous suivez ici les rebondissements depuis treize mois, les avocats des quatre cabinets juridiques associés aux réclamations faites au nom des victimes du tabagisme ont tous les jours donné au public de la salle d'audience l'impression qu'ils forment une seule et même petite équipe très soudée.

C'en est au point où on est forcé de conclure que ce n'est pas seulement pour la façade, puisqu'il serait difficile de jouer la comédie si bien si longtemps.

Les avocats des recours collectifs en mai 2012

(La photo de groupe ci-dessus, avec sept des avocats à l'extérieur du palais de justice de Montréal, a été prise en mai 2012 par M. Andrew Cleland. Votre serviteur y a juxtaposé en médaillon une image de Me Gordon Kugler.)

À l'aube de la 137e journée du procès et dernière journée de la preuve des demandeurs, l'auteur du blogue s'autorise un petit coup d’œil sur les coéquipiers en question.


1 Bélanger

Formé comme notaire autant que comme avocat, Michel Bélanger a étudié à l'Université d'Ottawa et a été admis au Barreau du Québec en 1988. Il a alors fondé l'étude Lauzon Bélanger avec Me Yves Lauzon, l'un des pionniers canadiens des recours collectifs, une procédure possible au Québec depuis des amendements en 1978 au Code de procédure civile.

Me Bélanger détient aussi un diplôme d'études supérieures spécialisées en droit de l'environnement et de l'aménagement du territoire de l'Université Robert Schuman, à Strasbourg, en France.

Non seulement ce juriste enseigne ce domaine du droit dans plusieurs universités québécoises, mais il est aussi le président du conseil d'administration de Nature Québec, un organisme sans but lucratif fondé en 1981 et voué à la conservation de la nature, au maintien des écosystèmes essentiels à la vie et à l’utilisation durable des ressources. (Nature Québec a été connu de 1983 à 2005 sous le nom d'Union québécoise pour la conservation de la nature.)

Ironie du sort, Me Bélanger et ses coéquipiers plaident une affaire dont sont exclues toutes les questions relatives à la « fumée de tabac dans l'environnement », c'est-à-dire au tabagisme involontairement subi par des millions de non-fumeurs, et ses conséquences.

Pour les besoins de la preuve devant le juge Riordan, Me Bélanger s'était réservé la tâche d'interroger les experts médicaux Alain Desjardins et Louis Guertin. Autrement, il a régulièrement rédigé un résumé de la journée d'audition au bénéfice de l'équipe des demandeurs, un rôle discret qui fait que son nom est apparu moins souvent que d'autres dans les compte-rendus de ce blogue. Bélanger était cependant présent très tôt dans le recours collectif organisé par le Conseil québécois sur le tabac et la santé (CQTS), soit le recours des victimes de quatre maladies du thorax et de la « gorge » attribuées au tabagisme.


2 Lespérance

Formé en droit à l'Université du Québec à Montréal et admis au Barreau du Québec en 1983, André Lespérance a débuté sa carrière comme avocat à la Banque du Canada avant de se joindre au bureau du Procureur général du Canada où il a œuvré pendant près de 20 ans.

Me Lespérance détient également une maîtrise en sciences économiques de l’Université de Montréal (1987). C'est en 2008 qu'il a ajouté son savoir-faire et son nom à ceux de l'étude Lauzon Bélanger.

Quand votre serviteur, alors journaliste principal de la revue Info-tabac, avait interrogé Michel Bélanger au printemps 2011, celui-ci avait dit de son associé Lespérance qu'il a tout lu ce qui allait être enregistré au dossier de la preuve lors du procès et davantage, sur le sujet des activités des cigarettiers. Après treize mois de procès, il est tentant de penser que Lespérance a aussi tout retenu.

C'est André Lespérance qui, pour le recours collectif des victimes de maladies attribuées au tabagisme, a prononcé le réquisitoire inaugural au procès le 12 mars 2012. Dans les interrogatoires qu'il mène, il a le style de l'étudiant à la curiosité insatiable déçu d'arriver au bout de la connaissance de son interlocuteur, un style qui, mine de rien, peut être très fertile en réponses éclairantes.


3 Beauchemin

Associé au gros cabinet juridique De Grandpré Chait, Marc Beauchemin est le seul avocat sur le tableau de groupe ci-dessus qui ne porte pas de toge (à part Me Kugler en médaillon) et ce n'est pas sans doute pas par hasard.

Dès avant le début du procès en tant que tel, Me Beauchemin a plaidé pour les besoins des deux recours collectifs, mais seulement devant des juges de la Cour d'appel du Québec, un tribunal où les magistrats n'entendent pas de témoin mais seulement des avocats, et où les cigarettiers semblent faire tout leur possible pour amener l'affaire présidée par le juge Brian Riordan de la Cour supérieure du Québec. (Quand il n'y a pas de témoin qui comparaît, les avocats sont en tenue de ville.) Jusqu'à présent, Me Beauchemin a eu nettement plus de succès que les avocats des cigarettiers.

Hiver 2005, après le jugement Jasmin
Sur la photo ci-contre (prise par Denis Côté de la revue Info-tabac), on reconnaît les avocats Bélanger, Lauzon et Beauchemin, que le directeur général du CQTS Mario Bujold présente à la presse, au moment de l'annonce que la Cour supérieure venait d'autoriser les deux recours collectifs contre les cigarettiers canadiens, en février 2005. (lien vers l'article d'Info-tabac (page 14) )


4 Johnston

Le réquisitoire inaugural des avocats du recours collectif des personnes dépendantes de la nicotine a été prononcé en mars 2012 par Me Bruce W. Johnston (W pour Walter, au cas où vous auriez l'idée de confondre ce Bruce Johnston québécois, marathonien à ses heures, avec un des vénérables membres des célèbres Beach Boys de la Californie).

De tous les avocats de la partie demanderesse, Bruce Johnston semble l'un des deux plus redoutables dans un interrogatoire en langue anglaise, du fait de sa capacité d'improvisation, et celui qui, lorsqu'il intervient dans un débat, peut vous sortir un adjectif à quatre syllables à l'égal d'un Simon Potter ou d'un Doug Mitchell du côté de la défense des cigarettiers, et avec le même effet divertissant, un effet qu'il ne boude pas.

En novembre dernier, lors de la comparution du témoin Robert Proctor, expert en histoire de la cigarette appelé à la barre par les recours collectifs, et que plusieurs avocats canadiens-anglais et américains, de même que des reporters de la grande presse du Québec, étaient venus observer au palais de justice de Montréal, Johnston a eu avec l'historien une « conversation » aussi entraînante qu'éreintante pour la réputation des compagnies de tabac intimées.

L'aisance de Johnston en anglais ne l'empêche pas d'être aussi l'un des plus prompts à se plaindre de l'usage parcimonieux du français que fait la défense d'Imperial Tobacco Canada, ou bien, par exemple, à expliquer à un témoin étranger l'absence de caractère religieux dans les serments prêtés devant un tribunal au Québec.

De l'Université McGill, où il a étudié le droit civil et la common law, Bruce Johnston est aussi sorti avec un diplôme en histoire.


5 Trudel

Johnston et Philippe H. Trudel (H pour Hubert), qui ont fondé le cabinet Trudel & Johnston en 1998, ont tous deux été admis au Barreau du Québec en 1993. Ils leur est arrivé d'amener leurs causes jusque devant la Cour suprême du Canada. Les deux hommes ont souvent prononcé des conférences sur le sujet des recours collectifs.

Philippe Trudel est diplômé en sciences politiques de l'Université Laval, la doyenne des universités francophones d'Amérique, et a fait son droit à l'Université de Montréal.

Quand il plaide une requête ou argumente sur une objection, cet avocat montre une grande habileté à montrer l'absurde d'un raisonnement de ses adversaires. Face à certains témoins de l'industrie, on a aussi vu Me Trudel, à force d'insistance courtoise, obtenir parfois des aveux dévastateurs.

Cécilia Létourneau en 2005
(une autre photo de Denis Côté)
Dans le recours en justice des personnes que le tabagisme a rendu dépendantes à la nicotine, collectif dont Mme Cécilia est la première membre et le fer de lance, deux avocats du cabinet Kugler Kandestin se sont joints à Me Trudel et à Me Johnston.


6 Boivin

C'est aussi de la Faculté de droit de l'Université de Montréal que provient Pierre Boivin, qui a par la suite obtenu une maîtrise en droit du King's College de l'Université de Londres (1988), puis a été admis au Barreau du Québec en 1989.

Me Boivin est associé à l'étude Kugler Kandestin, un cabinet fondé en 1926 et qui ne compte qu'une quinzaine de professionnels, tous à Montréal, mais dont la réputation de plaideurs, notamment en matière de recours collectifs, s'étend depuis longtemps jusqu'en Colombie-Britannique, selon nos sources.

Boivin, c'est notamment le juriste des petites remarques pleines de gros bon sens paysan, mais aussi le procureur notamment chargé de mener à bien l'interrogatoire de plusieurs chimistes (Porter, Cohen, Castonguay), au bénéfice d'un juge dont ce n'est pas la tasse de thé. Il semble qu'on compte aussi sur Me Boivin pour réunir et préparer la documentation utile au calcul par un juricomptable de la capacité des compagnies de tabac à verser des dommages punitifs à un fonds de lutte contre le tabagisme, si la cause des victimes du tabac triomphe finalement.


7 Kugler

L'associé émérite de Pierre Boivin, Gordon Kugler, a fait moins d'apparitions dans la salle 17.09 depuis treize mois que les sept autres avocats de la partie demanderesse. Mais quand il participe à la partie visible de la bataille, Me Kugler peut être d'une efficacité magistrale.

Est-ce parce que Gordon Kugler, admis au Barreau du Québec en 1967 (après des études en économique et en science politique puis en droit), est le doyen de tous les juristes au procès et parle d'expérience, ou parce qu'il est grand, mince et droit comme un cierge, parle peu, s'assoit tranquillement quand un adversaire soulève une objection substantielle durant un de ses interrogatoires, puis se redresse et pose lentement, d'une voix de contrebasse, des questions qui paraissent avoir été très minutieusement préparées et dont il ne s'écarte pas sans prendre bien son temps ?

Peut-être tout cela et d'autres choses encore. En tout cas, même le juge Riordan, qui excelle à taquiner finement les avocats, n'a pas su tirer davantage de Me Kugler que des sourires d'homme modeste et réservé, d'un homme pourtant professeur d'université à ses heures et praticien hautement coté par ses pairs.

Contrairement aux cadres de l'industrie qui se sont trouvés face à Me Kugler et ont peut-être rêvé qu'il ait déjà pris sa retraite, le public de la salle a pu savourer, lors de l'interrogatoire du témoin John Barnett de Rothmans, Benson & Hedges le 19 novembre, l'aplomb de l'avocat dans sa réplique à une objection à ce moment-là plutôt tactique du plus expérimenté des rhéteurs de la partie défenderesse.

Me Potter: Est-ce que la question est « Pourquoi ils sont appelés des bâtons » ou « Pourquoi ils ne sont pas appelés autrement » ?
Me Kugler: Les deux.
Me Potter : Bien, demandez une des deux.
Me Kugler: Merci. Je vais demander les deux.


8 Gagné

La seule personne dans l'équipe des recours collectifs qui peut se vanter d'avoir été autant de jours dans la salle d'audiences que le juge lui-même est Me Gabrielle Gagné.

Stagiaire chez Lauzon Bélanger Lespérance en 2011, après un baccalauréat au Québec et une maîtrise en droit international qui l'ont fait séjourner en Italie, Gabrielle Gagné a été admise au Barreau du Québec en janvier 2012, quelques semaines avant le début du procès.

Depuis lors, Me Gagné semble être devenue aux yeux du juge, comme Me Nathalie Grand'Pierre d'Imperial et Me Catherine McKenzie de JTI-Macdonald, la référence sûre quand il a temporairement besoin d'une guide dans le volumineux dossier de la preuve, ou besoin de vérifier l'exécution de telle ou telle procédure. Quand l'une de ces trois avocates a parlé, les hommes se taisent ou opinent en silence, et ce silence est un hommage presque quotidien à l'honnêteté, à l'exactitude et à la diligence des trois avocates.

Parmi les juristes qui ont procédé depuis treize mois à l'interrogatoire ou au contre-interrogatoire d'un témoin, Me Gagné est la plus jeune. Les interrogatoires en 2012 de l'ancien marketeur de RBH Ron Bulmer et de l'ingénieur d'ITC Wolfgang Hirtle n'ont cependant pas été les seuls moments où l'avocate a fait enregistrer des documents au dossier de la preuve. Plusieurs centaines de pièces sont au dossier et accessibles en ligne sur le site des recours collectifs, grâce à l'esprit classificateur et à la patience de Gabrielle Gagné.



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Quelques remarques qui valent pour les juristes des deux camps

Premièrement, ce que le public peut voir et entendre lors des journées d'auditions du procès, et dont votre serviteur rapporte des bribes aux lecteurs de ce blogue, ce n'est qu'une partie du travail des avocats, la partie immergée de l'iceberg.

Ce que le public de la salle d'audience peut constater, c'est que seulement quelques avocats, dont c'est le rôle et le tour, parlent. Les autres passent la journée à écouter le témoin, ou le juge, ou les quelques avocats dont c'est le rôle de parler. En même temps qu'ils écoutent, ou quand personne ne parle, les avocats, assez souvent, lisent ou relisent les documents auxquels l'interrogatoire ou le processus d'enregistrement au dossier fait référence.

Dans tous les cas, il faut être capable de se concentrer et de le rester plusieurs heures.

Dans ce procès, il n'y a rarement moins d'une douzaine d'hommes et de femmes de loi dans la salle, et on entend jamais un murmure.  L'ambiance est plus studieuse que dans toutes les bibliothèques publiques que vous avez connues au Québec, et le silence n'est brisé que par l'interrogatoire, ou la plaidoirie.

Bref, cela se passe exactement comme cela doit se passer, à la cour présidé par Brian Riordan.


Deuxièmement, ce que le public de la salle ne peut pas voir ni entendre, on peut quand même l'imaginer, avec un minimum d'expérience du travail intellectuel ou de la vie : en dehors des jours où le tribunal siège, les avocats lisent, ils lisent beaucoup, ils écrivent, et ils ont des réunions pour échanger leurs vues et convenir de stratégies et de tactiques.


Troisièmement, dans un procès comme celui dont ce blogue relate les événements, le travail des avocats est un travail d'équipe qui s'assimile à celui d'un orchestre. Certains, généralement les plus expérimentés, ont le rôle du premier violon ou du soliste. Toutefois, si un de ces avocats qui restent silencieux dans la salle d'audience, ou un autre que vous n'avez pas vu au tribunal depuis quelques semaines, arrivait mal préparé, ou avait mal renseigné son groupe, il risquerait de ne pas suivre le rythme, ou de provoquer une fausse note.