mercredi 10 avril 2013

135e jour - Les compagnies annoncent qu'elles auront fini de se défendre en mai 2015 (oui, 2015)

Il ne reste que quelques jours en avril avant qu'on puisse déclarer que les procureurs des recours collectifs ont terminé de présenter leur preuve qu'Imperial Tobacco Canada (ITCL), Rothmans, Benson & Hedges (RBH) et JTI-Macdonald doivent être tenus responsables du cancer du poumon, de l'emphysème, du cancer du larynx ou du cancer de la gorge de quelques dizaines de milliers de personnes, ainsi que de la dépendance au tabac d'environ un million et demi d'autres Québécois.

Au bout de 135 jours de procès en treize mois, avec environ 2900 pièces enregistrées dans le dossier de la preuve et 46 témoins comparus (dont un à Londres et un autre à Victoria en Colombie-Britannique), peut-on savoir combien de temps les compagnies de tabac comptent à leur tour utiliser pour présenter leur preuve en défense ? Qui comptent-elles convoquer à la barre des témoins ?

(roulement de tambour)

Mardi après-midi, le juge Brian Riordan de la Cour supérieure du Québec et les avocats des recours collectifs ont pris connaissance et discuté brièvement du projet de calendrier de la partie défenderesse.

Le plan de match se résume ainsi:
  • 39 témoins de fait, dont 32 qui ont fait carrière au gouvernement fédéral canadien;
  • un nombre indéterminé de témoins de faits qui ont fait carrière dans l'industrie du tabac, dont certains pourraient être des figures connues du juge Riordan, puisqu'ils ont déjà témoigné durant les derniers treize mois, répondant alors à une convocation de la partie demanderesse;
  • l'avocat Simon V. Potter, ancien procureur d'Imperial Tobacco Canada, aujourd'hui défenseur de RBH;
  • au moins 4 témoins-experts, mais peut-être un total de 7;
  • 35 personnes inscrites comme membres du recours collectif des victimes de la dépendance au tabac;
  • 15 personnes inscrites comme membres du recours collectif des victimes d'une des quatre maladies nommés plus haut;
  • 14 000 ou 16 000 documents à être transmis aux avocats des recours collectifs pour qu'ils les examinent avant que la partie défenderesse tente d'en produire une poignée devant le tribunal;
  • et une preuve en défense qui se terminerait quelque part en mai 2015 (compte non tenu des possibles trois experts additionnels mentionnés plus haut ...et si tout va bien).

En puis, on l'a peut-être échappé belle, si on se fie aux nombreuses personnes dont Me Valerie Dyer d'Imperial a indiqué mardi le décès relativement récent et que les cigarettiers ne pourront pas faire témoigner pour cette raison.

Mentionnons l'ancien chimiste d'ITCL Stewart R. Massey (1946-2013), que les avocats de la compagnie ont depuis des mois défié la partie adverse de convoquer à la barre des témoins, et dont Me Deborah Glendinning parlait mardi en l'appelant deux fois par son prénom. (L'avis de décès paru dans l'édition en ligne du quotidien The Gazette parle d'un décès inattendu (unexpected passing) le 4 avril.)

Ce n'est qu'après tout ce nouveau défilé de témoins et un flot documentaire record que les deux parties présenteraient leurs plaidoiries récapitulatives et laisseraient enfin le juge réfléchir à son verdict final.

Bien qu'il ne s'agisse pas d'un document secret ou confidentiel, le calendrier n'est pas un document qui doit obligatoirement être accessible au public au même titre qu'une pièce dûment enregistrée ou une décision judiciaire. Le public en a vu des pages apparaître sur les écrans de la salle d'audience 17.09 pendant qu'avait lieu la discussion. 


Pourquoi deux ans ?

La question que tout le monde peut maintenant se poser, et qui n'obtiendra évidemment pas de réponse explicite, est : les compagnies de tabac sont-elles sérieuses ?

Ont-elles vraiment besoin de tant de temps et de matériaux intellectuels ?

Cherchent-elles plutôt à éreinter financièrement les cabinets juridiques à l'origine des recours collectifs, dont la rémunération tient exclusivement à une possible victoire future mais qui ne peut qu'être plus éloignée ?

Cherchent-elles à convaincre indirectement le juge de se décharger d'une partie du fardeau de ce procès s'il leur donnait au moins en partie raison quand elles plaideront à la fin d'avril une sorte de requête en non-lieu ?

Ce qui a sauté aux yeux mardi, c'est que les cigarettiers ont fait fi du souhait formulé par le juge Brian Riordan de siéger lors de la dernière semaine de juin, après la Fête nationale du Québec. Ils ont aussi ignoré son espérance plus d'une fois exprimée depuis un an de ne pas faire comparaître Me Simon Potter à la barre des témoins. (En fait, cela a semblé faire plus de peine au juge qu'à l'avocat.)

Les avocats des recours collectifs ont noté mardi que la défense des cigarettiers prévoit du temps pour gérer des objections sur l'authenticité ou la pertinence de documents auxquels la partie demanderesse pourrait bien ne pas s'objecter du tout si on lui envoie les documents assez tôt. De façon plus générale, les demandeurs ont estimé que les défendeurs dispersaient les interrogatoires sur le calendrier au lieu d'occuper plus intensément le temps disponible devant le tribunal, ...comme si la défense manquait de main-d’œuvre.

Le juge a annoncé son intention de travailler à la compression du calendrier.


Une défense qui ressemble à une accusation

Mardi, Me Valerie Dyer a commis plus d'une fois, et sans apparemment s'en rendre compte, un lapsus qui révèle l'état d'esprit dans le camp des cigarettiers. Elle a parlé de la défense du gouvernement.

Or, ce ne sont pas les avocats des recours collectifs qui accusent le gouvernement fédéral canadien , mais les compagnies de tabac. La Couronne fédérale n'est plus une partie impliquée dans ce procès depuis que la Cour d'appel du Québec en a jugé ainsi en novembre, en cassation d'une décision opposée du juge Riordan, une décision de Riordan que les cigarettiers avaient soutenu mais qu'elles n'ont pas estimé utile de défendre jusqu'en Cour suprême, comme si elles trouvaient finalement commode l'exclusion du fédéral.

Parmi les témoins de faits que les cigarettiers veulent faire parader devant le juge Riordan figurent les anciens ministres fédéraux de la Santé Marc Lalonde (1929-....), David Crombie (1936-....), Monique Bégin (1930-....) et Perrin Beatty (1950-....). Les cigarettiers voulaient aussi convoquer Diane Marleau (1943-2013), mais elle est décédée en janvier dernier. Ces cinq personnes ont toutes dirigé le ministère durant la période d'activités des compagnies visée par la poursuite judiciaire, c'est-à-dire de 1950 à 1998.

On notera cependant l'absence dans cette liste des anciens ministres Epp (1939-....), Dingwall (1952-....) et Rock (1947-....), qui ont fait adopter par le Parlement des lois pour contrôler le commerce du tabac, durant la même période.

(Les dates de naissance que vous venez de lire proviennent du site du Parlement du Canada et n'ont pas été mentionnées à la Cour.)

Les noms de plusieurs anciens cadres, conseillers scientifiques ou employés de Santé Canada apparaissent aussi dans le calendrier de la preuve en défense, entre autres ceux de David Dodge, Albert J. Liston, David F. Bray, Neil Collishaw, Murray Kaiserman, Byron Rogers et Denis Choinière.

S'il y a un haut fonctionnaire dont les cadres de l'industrie interrogés le printemps dernier ont mentionné le nom, c'est bien le fameux « Dr Morrison ». Me Dyer a présenté comme une grande difficulté la venue de l'ancien sous-ministre adjoint et pharmacologue de formation, qui serait maintenant installé dans le lointain Utah, et le nom d'Alexander B. Morrison n'est effectivement pas dans le calendrier.

Une douzaine d'anciens fonctionnaires d'Agriculture Canada seront également convoqués.

Me Dyer a aussi exprimé une inquiétude quant à la santé de Purdy Crawford, un ancien président du conseil d'administration d'Imasco, le holding qui chapeautait à une certaine époque Imperial Tobacco. Le nom de M. Crawford n'est cependant pas apparu dans le calendrier qui a défilé sur les écrans.


Globalement, la séquence des comparutions espérées par la défense ressemble présentement à ceci:
  • mai et juin 2013: les historiens Jacques Lacoursière, David Flaherty et Robert Perrins, ainsi que le politologue Raymond Duch, qui ont tous quatre produit des expertises pour le compte des cigarettiers, puis l'ancien ministre Marc Lalonde;
  • d'août 2013 à avril 2014: les témoins de faits qui ont été à l'emploi des cigarettiers;
  • de mai à novembre 2014, les témoins de faits qui ont été à l'emploi du gouvernement ou ministres;
  • et de décembre 2014 à mai 2015: l'échantillon de 50 personnes inscrites à l'un ou à l'autre des recours collectifs de victimes.


Pour savoir comment activer les hyperliens vers les pièces au dossier de la preuve, voyez les instructions à la fin du présent message.


Enrichissement statistique de la preuve

Me Philippe Trudel avait inauguré la journée de mardi en introduisant au tribunal une directrice et statisticienne de Statistique Canada, Mme Julie Bernier, puis en faisant verser dans le dossier de la preuve des résultats de trois enquêtes que réalisait ou que réalise encore l'agence de statistiques et qui concernent au moins partiellement le comportement tabagique :
  1. l'Enquête nationale sur la santé de la population  (pièce 1535.1)
  2. l'Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes (ESCC) (pièces 1535.2, 1535.3, 1535.4)
  3. l'Enquête de surveillance de l'usage du tabac au Canada (ESUTC) (pièces 1537.1999, 1537.2000, 1537.2001, 1537.2002, 1537.20031537.2005 et 1537.2004).
Imperial et JTI-Macdonald se sont opposés à l'enregistrement de ces pièces, mais pas Rothmans, Benson & Hedges, qui en avait fait enregistrer une semblable la semaine dernière.

L'ESUTC (CTUMS en anglais) est réalisée par Stat Can pour le compte de Santé Canada, qui en diffuse ensuite les résultats et son analyse. Mme Bernier n'avait pas avec elle les intervalles de confiance des estimations de cette enquête et les avocats des cigarettiers lui ont demandé de les fournir, ce qu'elle a promis de faire d'ici quelques jours. (Petit secret entre nous: les intervalles sont déjà sur le site de Santé Canada.)


Court huis clos

La 135e journée a aussi été marquée par un événement à ce procès qui ne s'était pas produit depuis le 17 mai: un bout de débat à huis clos.

Les parties étaient au milieu d'un processus d'enregistrement en preuve de divers documents, en vertu de l'interprétation du juge Riordan de l'article 2870 du Code civil du Québec.

Sur l'un de ces documents, Imperial a réclamé et obtenu un huis clos parce qu'apparemment, le secret professionnel des avocats était en cause. Le juge a voulu vider tout de suite la question.

Trois personnes ont dû sortir de la salle et sont sorties de bonne grâce:
  • une très discrète avocate qui rapporte les débats au procès à l'un de ses clients qui a un différend avec une des compagnies de tabac intimées,
  • l'éditrice-rédactrice du blogue Eye on the trials, Cynthia Callard,
  • et votre serviteur.

Événement à venir

Aujourd'hui (mercredi), le tribunal n'a pas siègé.

Demain (jeudi), la partie demanderesse livrera un plaidoyer en faveur d'une redéfinition partielle et d'une précision accrue des groupes de victimes.

Essentiellement, il s'agit de définir ce qu'est la gorge pour les besoins d'une future possible indemnisation des victimes d'un carcinome épidermoïde des voies aéro-digestives supérieures ou du larynx (voie aérienne).

Suivant l'avis de l'oto-rhino-laryngologiste Louis Guertin (son témoignage lors du 111e jour), les avocats des recours collectifs voudraient que les victimes d'un carcinome épidermoïde localisé dans la cavité buccale et attribuable au tabagisme soient incluses parmi les victimes indemnisables de ce que le juge Jasmin s'est entendu appeler le « cancer de la gorge » en 2005.

Le débat avec les avocats des cigarettiers risque de porter sur l'inclusion ou non de la cavité buccale, car les autres sites anatomiques (hypopharynx et oropharynx) apparaissent dans les définitions de la gorge du contre-expert de la défense et du National Cancer Institute des États-Unis.


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Pour accéder aux jugements, aux pièces au dossier de la preuve ou à d'autres documents relatifs au procès contre les trois principaux cigarettiers canadiens, IL FAUT commencer par

1) aller sur le site des avocats des recours collectifs https://tobacco.asp.visard.ca/main.htm


2) puis cliquer sur la barre bleue Accès direct à l'information
3) puis revenir dans le blogue et cliquer sur les hyperliens au besoin,
ou
utiliser le moteur de recherche sur place, lequel permet d'entrer un mot-clef ou un nombre-clef et d'aboutir à un document ou à une sélection de documents.