mercredi 20 février 2013

115e et 116e jours - 18 et 19 février - En douze ans, au moins 110 000 Québécois malades à cause du tabagisme

Pour savoir comment activer les hyperliens vers les pièces au dossier de la preuve, voyez les instructions à la fin du présent message.

Parmi les Québécois qui ont reçu entre 1995 et 2006 un diagnostic de cancer du poumon, de cancer du larynx, de cancer de la gorge ou d'emphysème, il y en a au moins 110 282 au total dont on peut dire qu'ils ont plus de 50 % de chances d'avoir été dans ce triste état en conséquence directe de leur consommation passée de cigarettes.

Rien d'étonnant pour les spécialistes qui connaissent les probabilités d'être atteint.

Ainsi par exemple, par rapport aux non-fumeurs de sexe masculin, les fumeurs masculins en général ont un risque décuplé d'être atteints par un cancer du poumon. Les fumeuses comparées aux non-fumeuses voient leur risque multiplié par sept.

Jack Siemiatycki
Ces renseignements figurent parmi une masse d'autres semblables qui proviennent d'une méta-analyse de plusieurs études épidémiologiques livrée en 2009 par le professeur Jack Siemiatycki du département de médecine sociale et préventive de la Faculté de médecine de l'Université de Montréal.

Selon l'expérience de l'épidémiologue Siemiatycki (son curriculum vitae : pièce 1426), les études épidémiologiques rapportent un risque relatif de maladie chez des personnes exposées à une substance toxique qui varie habituellement entre 1,2 et 2,5 fois le risque de développer la même maladie chez les personnes non-exposées.

10 ou même 7, c'est un ratio très impressionnant à ses yeux, et il n'y a rien de nouveau sous le soleil pour les scientifiques. Dès 1964, le Surgeon General des États-Unis publiait un rapport où il était question de « fumeurs moyens » qui avaient entre 9 et 10 fois plus de risque que les non-fumeurs d'être atteints de cancer du poumon, et de « gros fumeurs » pour qui c'était 20 fois plus. Quand M. Siemiatycki faisait sa maîtrise en statistiques médicales à l'Université McGill à la fin des années 1960, les études concernant les risques du tabagisme étaient déjà citées en exemple dans l'enseignement.

Les calculs de probabilité ci-dessus sont contenus dans le rapport d'expertise de Jack Siemiatyckì versé lundi au dossier de la preuve.  (Le rapport principal est la pièce 1426.1 et les pièce 1426.2 et pièce 1426.4 sont des annexes également datées de 2009.)

La méta-analyse en question permet aussi savoir à quel point une consommation plus grande de tabac accroît le risque par comparaison à une faible consommation. Pour les deux sexes confondus, et parfois pour les deux sexes séparément. Pour les quatre maladies qui sont l'objet de réclamations aux cigarettiers devant la Cour supérieure du Québec. Les propres recherches du professeur Siemiatycki à partir de données des hôpitaux universitaires de Montréal lui donnent des estimations de risques relatifs comparables à ce qu'on retrouve dans la méta-analyse.(pièce 1428)

Concernant le « cancer de la gorge », dont il existe pas de définition consensuelle dans le monde médical, l'expert en épidémiologie mandaté par les avocats des recours collectifs s'en est prudemment tenu au plus petit commun dénominateur des diverses définitions utilisées, n'incluant que les victimes de tumeurs à l'hypo-pharynx et à l'oro-pharynx.


Un rapport qui dérange les cigarettiers

Lundi, les avocats de JTI-Macdonald, de Rothmans, Benson & Hedges et d'Imperial Tobacco Canada ont tenté de convaincre le juge Brian Riordan de rejeter le rapport d'expertise de Jack Siemiatycki sans s'en prendre directement à la qualité d'expert du professeur de 66 ans, comme s'ils pouvaient en avoir besoin un jour pour défendre d'autres clients que des compagnies de tabac. Ce n'est pas la première fois que l'épidémiologue québécois joue un rôle de témoin-expert dans un procès au Canada, et probablement pas la dernière.

Peu de temps après le retour de la pause du midi, le juge Riordan a admis Jack Siemiatycki comme témoin-expert et a accepté son rapport de 2009 et les annexes sans demander de modifications. Il faut dire qu'aucun des contre-experts mandatés par l'industrie du tabac n'a osé proposer une méthode de calcul alternative.

Le procureur André Lespérance des recours collectifs a alors commencé l'interrogatoire.

griffonnage de diagramme en direct
L'avocat avait ces dernières semaines évoqué la possibilité que son expert en épidémiologie utilise un moyen électronique moderne pour expliquer certains concepts au juge et au parterre de juristes. Vous pensez à des planches fignolées avec le logiciel Power Point ?  Trop lent, inutilisable dans une réponse improvisée, et les avocats des compagnies ont grogné quand Me Lespérance a envisagé cette option au début de l'année. Vous pensez à un acétate électronique branché sur un canon de projection ?  Vous brûlez. Mais pourquoi s'encombrer d'un clavier ou d'une souris à la barre des témoins ?  Vive le tableau noir et les craies de couleur, mais sans craie et sans ardoise !

L'épidémiologue Siemiatycki, flanqué de Me Michel Bélanger comme appariteur, a utilisé une tablette iPod et l'application Paper, et a griffonné en direct un diagramme, lequel est d'abord apparu sur le circuit d'écrans de la salle d'audiences, avant d'être transmis aux avocats et au juge, de la même façon qu'un autre de ses nombreux fichiers Microsoft ou Adobe qu'ils se transmettent chaque jour (et parfois la nuit).

Lundi, l'expert en épidémiologie a exposé la pertinence de cette science dans le monde moderne. Un raisonnement épidémiologique, c'est ce qui empêche de conclure hâtivement que la qualité de vie est meilleure à Shawinigan au Québec qu'à Victoria en Colombie-Britannique, sous prétexte que le taux de mortalité est nettement plus élevée à Victoria qu'à Shawinigan. Dans ce cas, il faut tenir compte de l'âge de la population. Quand il compare l'incidence d'une maladie dans un groupe avec l'incidence de la même maladie dans un autre groupe, le chercheur n'oublie pas de regarder les facteurs parasites (confounding factors).

Le professeur de l'Université de Montréal a aussi introduit le concept-clef de son rapport qu'est le risque relatif.

Ce n'était qu'un avant-goût de la journée de mardi.


De la vue globale à la démarcation des personnes à indemniser

De la notion de risque relatif (RR), où la probabilité d'incidence d'une maladie dans un groupe exposé à un facteur de risque est comparée à la probabilité dans un groupe de personnes non exposées, Siemiatycki est passé mardi à la fraction de cas (d'une maladie en particulier) dus à un facteur de risque (AF).

pièce 1427.1
Sur le premier diagramme (pièce 1427.1) légèrement incomplet (Le témoin-expert rodait alors le procédé explicatif.), la zone hachurée en noir correspond aux cas d'une maladie qui sont diagnostiqués chez des fumeurs et anciens fumeurs et sont attribuables à leur tabagisme. La ligne noire horizontale qui traverse l'ensemble des boîtes non-fumeurs (NS) et fumeurs (Smokers), correspond à la fréquence des cas de cette maladie chez les non-fumeurs, et à une fréquence égale chez les fumeurs qu'on ne doit pas attribuer à leur tabagisme.

Il fallait ensuite passer du groupe à l'individu et savoir quelle est la probabilité pour un fumeur ou ancien fumeur pris au hasard parmi ses semblables victimes de la maladie d'avoir cette maladie à cause de son tabagisme (probabilité de causalité)(PC).

On prend alors la même fraction de l'ensemble des cas de la maladie qui sont dus au tabagisme (zone hachurée en noir du premier diagramme) et on le divise par l'ensemble des cas de maladie diagnostiquées chez les fumeurs (grand rectangle gris sur le deuxième diagramme).

pièce 1427.2
Algébriquement, PC = (RR-1)/RR, où RR est le risque des fumeurs d'être atteints par la maladie par rapport au risque des non-fumeurs, lesquels ont un risque de base 1 par définition, et PC est la probabilité d'une relation de cause à effet entre le tabagisme et le diagnostic de maladie.

Le professeur Siemiatycki a ensuite introduit des différences entre les malades basées sur leur consommation cumulative de tabac en terme de paquets-années.

(Un paquet-année, c'est 7300 cigarettes, qui sont fumées au rythme d'un paquet de vingt par jour durant un an, d'où le nom. Deux paquets-années, par exemple, correspondent à une consommation deux fois plus intense durant la même période ou à une consommation aussi intense sur une période deux fois plus longue. Le concept de paquet-année, d'usage courant dans les études cliniques, a été originalement introduit devant le tribunal au début du mois par le Dr Alain Desjardins. Les deux experts qui ont suivi étaient également familiers avec le concept.)

La probabilité d'une relation de cause à effet entre le tabagisme et la maladie croît avec le nombre de paquets-années auquel le fumeur a été exposé, d'où un concept que l'épidémiologue Siemiatycki  a appelé la fraction légalement attribuable (LAF), qui est la fraction des fumeurs atteints d'une maladie dont on puisse dire qu'ils ont, du fait de leur consommation cumulative, plus de 50 % de probabilité d'avoir été atteints à cause de leur tabagisme.

Sur le diagramme suivant, la LAF correspond à la zone bariolée de lignes orangées. La zone hachurée en gris correspond aux malades dont la maladie a autant sinon plus de chances d'avoir été causée par un autre facteur que par le tabagisme. C'est évidemment dans cette catégorie que se retrouvent les malades qui n'ont jamais été fumeurs.

pièce 1427.3
Puisque les données de base sur la consommation cumulative de tabac sont disponibles dans le dossier médical des personnes qui ont reçu un diagnostic de cancer ou d'emphysème, les épidémiologues peuvent établir une relation en continu entre la consommation en terme de paquets-années et la probabilité pour un malade que sa maladie ait été causée par son tabagisme.

Au lieu d'avoir la forme d'un escalier, le diagramme se présente alors comme une pente.

La méta-analyse du professeur Siemiatycki et de son équipe montre notamment que chez les hommes, chaque paquet-année additionnel de consommation cumulative accroît de 0,34 le ratio du risque relatif de cancer du poumon.


À partir d'un certain seuil de consommation qui varie selon la maladie et le sexe, et que la grande majorité des fumeurs, selon les dossiers médicaux et selon les enquêtes de Statistique Canada sur les habitudes tabagiques, dépassent hélas facilement, les chances que le tabagisme soit la cause de la maladie dépasse une sur deux.

Ce seuil de la causalité est atteint pour le cancer du poumon avec 4 paquets-années chez les hommes et 3 chez les femmes. Pour les trois autres maladies, le calcul a été fait pour les deux sexes confondus et le seuil de la causalité est atteint aux environs de 5 paquets-années.


*

Me André Lespérance a terminé son interrogatoire du professeur Siemiatycki en le faisant parler de la solidité des estimations qui découlent de la méta-analyse.

* *

Toute la semaine a été prévue pour l'interrogatoire et les contre-interrogatoires de l'épidémiologue québécois. Parmi les spectateurs des deux derniers jours, certains des contre-experts de la défense prenaient place.

* * *

Pour accéder aux jugements, aux pièces au dossier de la preuve ou à d'autres documents relatifs au procès contre les trois principaux cigarettiers canadiens, IL FAUT commencer par

1) aller sur le site des avocats des recours collectifs https://tobacco.asp.visard.ca/main.htm


2) puis cliquer sur la barre bleue Accès direct à l'information
3) puis revenir dans le blogue et cliquer sur les hyperliens au besoin,
ou
utiliser le moteur de recherche sur place, lequel permet d'entrer un mot-clef ou un nombre-clef et d'aboutir à un document ou à une sélection de documents.