vendredi 23 novembre 2012

87e jour - 22 novembre - 200 documents versés au dossier en une heure

Pour savoir comment activer les hyperliens vers les pièces au dossier de la preuve, voyez les instructions à la fin du présent message.


Le tribunal présidé par l'honorable Brian Riordan de la Cour supérieure du Québec a mis à l'essai jeudi une nouvelle méthode d'enregistrement de documents comme pièces au dossier de la preuve. Jamais le dossier ne s'est enrichi plus vite depuis le début du procès en mars dernier. 


1  Le motif

Le juge Riordan avait estimé plus tôt cette semaine qu'il fallait mettre cette nouvelle méthode à l'essai, après avoir appris des compagnies de tabac qu'elles comptaient faire verser environ 20 000 documents dans le dossier de la preuve en défense, dont environ 11 000 coupures de presse, durant leur preuve en défense, qui pourra commencer dans la deuxième semaine de mars. C'est une masse documentaire plusieurs fois supérieure à celle produite par les demandeurs.

Avec un pareil flot de documents, au rythme maximal de 2 pièces par minute, en ne faisant que cela, il faudrait neuf mois. Or, il faut aussi prévoir des interrogatoires et des débats.  Et un jour, des plaidoiries finales des deux parties.

À procès exceptionnel, méthode exceptionnelle, a dû conclure le juge.


2  La méthode

Jeudi, les procureurs des recours collectifs André Lespérance, Gabrielle Gagné et Philippe Trudel sont arrivés avec environ 240 documents DÉJÀ passés en revue par les avocats des cigarettiers, déjà nommés, et déjà pourvus d'un numéro de pièce.

Un tableau visible sur les écrans de la salle d'audience, avec le titre de chaque document, montrait lesquels étaient l'objet d'une objection à l'enregistrement DÉJÀ formulée par les défenseurs des compagnies de tabac AVANT le début de l'audition. Les objections portaient sur la pertinence d'admettre la pièce, et non pas sur son authenticité, une question déjà réglée dans les semaines précédentes.

Étaient présents face aux demandeurs : les avocats George Hendy et Nathalie Grand'Pierre pour Imperial Tobacco Canada; les avocats Simon Potter et Shaun Finn pour Rothmans, Benson & Hedges (RBH); ainsi que Me Catherine McKenzie et Me Patrick Plante pour JTI-Macdonald (JTI-Mac).

La première heure a surtout servi à tous les joueurs à fixer dans le détail le déroulement des opérations.

Durant le reste de la matinée, les choses sont allés rondement. Les documents que personne ne s'objectait de voir versés au dossier n'apparaissaient même pas sur les écrans et la greffière les enregistraient très vite.

Quand le tribunal arrivait à un document controversé, et il y en a eu peu, le juge tranchait après avoir entendu l'objection de la défense et la justification de la partie demanderesse, laquelle avait souvent surligné ou marqué de couleur les passages de certains documents qui justifiaient le versement au dossier.

Une demi-douzaine d'objections ont été retenues par le juge Riordan. En conséquence, les avocats des recours collectifs devront s'arranger pour faire le preuve autrement, et il y aura des numéros de pièce dans le dossier de la preuve qui ne correspondent à aucune pièce.

Les avocats des compagnies ont été explicitement dispensés de répéter leur rituelle objection de principe à l'admission en preuve de documents orphelins, admission autorisée par un jugement interlocutoire de Brian Riordan le 2 mai dernier.

Parmi les documents qui sont apparus à l'écran, et dont le téléchargement sur le site public des avocats des recours collectifs sera effectué au fil des prochains jours, on trouvera une vidéo d'une annonce télévisée de Player's datée de 1960.

Internautes amoureux de l'audio-visuel vidéo-clipant, ne rêvez pas : la plupart des pièces accessibles en ligne sont des numérisations de documents écrits. On ne le dira jamais assez : pour être avocat ou juge, il faut aimer la lecture.

La plupart des documents admis comme pièces au dossier de la preuve jeudi concerne le marketing des produits du tabac.


3  Le témoignage à venir de Robert Proctor

Lundi prochain, l'historien Robert Proctor sera le premier témoin-expert à comparaître au procès en responsabilité civile des grands cigarettiers canadiens.

Son rapport d'expert lui a été demandé par les avocats des recours collectifs. En plus d'y souligner des faiblesses dans les trois rapports d'historiens demandés par les cigarettiers, Robert Proctor y livre une vue synthétique des relations nombreuses entre l'industrie américaine du tabac et l'industrie canadienne du tabac, et du comportement de la seconde souvent imité du comportement de la première.

Le rapport Proctor met en lumière que le tabagisme ne s'est mis à faire de grands ravages dans la population qu'avec l'apparition au 20e siècle de cigarettes dont la fumée est systématiquement inhalée par le consommateur.  C'était loin d'être le cas du temps où fumer signifiait surtout fumer la pipe ou le cigare, ou quand le tabac était lentement séché à l'air libre (plutôt que rapidement sous des jets d'air très chaud), ce qui rendait alors sa fumée âcre, plus alcaline, et beaucoup moins facile à inhaler.

Dans ce rapport, on voit aussi que les autorités en matière médicale, longtemps presque indifférentes au problème de santé publique posé par l'usage du tabac, ont rapidement fait l'unanimité contre la cigarette à partir du milieu des années 1950, suivant les progrès de la recherche scientifique.  L'industrie canadienne s'est plutôt acharné à partir de là à faire croire à des « controverses » scientifiques. (Les témoignages entendus lors du présent procès sont une bonne occasion d'observer que ce gentil remplissage de cerveaux a laissé des traces dans le personnel de l'industrie.)

Le professeur Proctor enseigne à l'Université Stanford, à Palo Alto, non loin de San Francisco (et au coeur de la célèbre Silicone Valley).

L'avocat Bruce Johnston des recours collectifs l'a présenté mercredi comme un spécialiste de l'histoire des sciences, de l'histoire des connaissances scientifiques et de l'histoire de la cigarette.  (Lien vers le curriculum vitae de l'expert.)

Robert Proctor est l'auteur d'un pavé de 752 pages sur ce dernier sujet intitulée The golden holocaust, qui porte sur les origines de la catastrophe de santé publique qu'est la cigarette. (Le mot catastrophe est dans le sous-titre.)

Dans une entrevue parue dans le magazine Mother Jones le printemps dernier, le professeur Proctor raconte jusqu'où les compagnies de tabac sont prêtes à aller pour que l'histoire comme discipline scientifique ne leur cause pas autant de mauvaises nouvelles que la médecine.

Mercredi, Me Doug Mitchell de JTI-Mac et Me Simon Potter de RBH ont mis en doute la qualité d'historien de M. Proctor, sans apparemment s'inquiéter que les avocats des victimes du tabac puissent un jour logiquement faire le même reproche aux historiens que l'industrie elle-même a appelé en renfort pour prouver que « tout le monde savait » les méfaits sanitaires de l'usage du tabac.

Le professeur Proctor a déjà témoigné devant des tribunaux aux États-Unis, mais ce sera la première fois qu'il le fait au Canada.

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Pour accéder aux jugements, aux pièces au dossier de la preuve ou à d'autres documents relatifs au procès contre les trois principaux cigarettiers canadiens, il faut commencer par

1) aller sur le site des avocats des recours collectifs https://tobacco.asp.visard.ca/main.htm

2) puis cliquer sur la barre bleue Accès direct à l'information
3) puis revenir dans le blogue et cliquer sur les hyperliens au besoin,
ou
utiliser le moteur de recherche sur place, lequel permet d'entrer un mot-clef ou un nombre-clef et d'aboutir à un document ou à une sélection de documents.