mardi 1 mai 2012

20e jour - 30 avril - La Société pour la liberté des fumeurs

Pour accéder aux pièces au dossier de la preuve, lisez la note à la fin du message d'aujourd'hui.

La vingtième journée du procès des cigarettiers a commencé par une discussion entre les avocats André Lespérance et Philippe Trudel pour les plaignants, Suzanne Côté et Simon Potter pour la défense, et Me Maurice Régnier pour le gouvernement du Canada, à propos du calendrier des comparutions de témoins devant le tribunal et du calendrier de production de documents.

Durant le restant de la matinée et tout l’après-midi, le procureur des recours collectifs André Lespérance a ensuite interrogé Michel Bédard, qui fut le président de la Société pour la liberté des fumeurs (SLF) de sa fondation au printemps 1986 jusqu’à l’hiver 1990.

Président, et aussi secrétaire et trésorier, la plupart du temps.

La SLF a fini en 1994 par être dissoute par les autorités canadiennes qui enregistrent les entreprises, parce qu’elle ne remettait pas son rapport annuel.

Philosophe et politologue de formation, ancien professeur de cégep, M. Bédard fêtera d’ici la fin de la semaine son 66e anniversaire de naissance, et s’est présenté lui-même comme un recherchiste et rédacteur, notamment de discours, et l’ancien patron d’une petite firme de consultant, et de la maison d’édition Varia.

Origine et développement d’un groupe de façade

Lors de sa comparution au procès des cigarettiers, en mars dernier, l’ancien chef des relations publiques d’Imperial Tobacco, Michel Descôteaux, avait fait état du rôle de Michel Bédard et de sa Société pour la liberté des fumeurs (SLF).

Hier, Michel Bédard a raconté que l’idée de fonder son organisme lui est venue d’une rencontre avec l’écrivain libertaire et économiste de formation Pierre Lemieux.

(«Chercheur associé » à l’Institut économique de Montréal, dont il est l’un des fondateurs, Pierre Lemieux a publié en 1997, aux éditions Varia de Michel Bédard, un livre intitulé Tabac et liberté.  L’État comme problème de santé publique.)

En mars ou en avril 1986, Lemieux et Bédard ont rencontré Michel Descôteaux, qui était à l’époque membre du comité des affaires publiques du Conseil canadien de fabricants des produits du tabac (CTMC).

Une proposition formelle de parrainage financier de la SLF par les cigarettiers a alors été préparée par Jacques Larivière du CTMC pour être présentée en mai 1986 aux patrons des quatre compagnies membres.  pièce 197 au dossier  L’animateur de la SLF a parallèlement précisé ses attentes budgétaires. 

Lors de l’interrogatoire d’hier de Michel Bédard par Me Lespérance, il est devenu clair que l’organisme ne soumettait à l’industrie que des projets qui faisaient l’affaire de cette dernière (pièce 202), après que Michel Bédard ait rapidement constaté à l’époque des désaccords entre les avocats des compagnies d’une part, et des avocats proches de la SLF d’autre part.

C’est ainsi que l’idée de la promotion de l’arrêt tabagique, brièvement entrevue comme une orientation accessoire de la SLF, fut rapidement mise au rancart, faute d’être bien accueillie.

Le calcul des demandes budgétaires à l’industrie était notamment basé sur l’estimation des capacités de recrutement par l’association de membres parmi les fumeurs, une estimation peu encourageante pour les promoteurs.

Dans un des rapports annuels de la SLF au CTMC, Michel Bédard fait valoir que son association peut dire ou peut faire des choses que l’industrie ne peut pas se permettre de faire.

En novembre 1988, quelques mois après le vote d’une loi fédérale (loi Epp) qui visait à bannir la publicité du tabac et à en interdire l’usage dans certains lieux publics, le deuxième rapport annuel de la SLF fait état des efforts de cette organisation pour prévenir ou ralentir ces tendances défavorables au tabagisme.

La SLF s’est entre autres opposée à la loi Epp lors d’audiences parlementaires à la Chambre des communes en 1988.  Michel Bédard a donné plusieurs entrevues à la radio et à la télévision, dans diverses provinces.

Au fil des ans, la SLF a commandé et payé des études, notamment à l’économiste André Raynauld, pour pouvoir publiciser le bénéfice socio-économique net de l’industrie du tabac, ou au psychologue Dollard Cormier, pour pouvoir contester la réalité toxicomanogène du tabac après la sortie d’un rapport de la Société royale du Canada en 1988.

La SLF a aussi cherché à remettre en question la nocivité du tabagisme passif après la sortie du rapport de 1988 du Surgeon General des États-Unis, et elle a soutenu des groupes « spontanés » de fumeurs qui contestaient des règlements municipaux visant la protection des non-fumeurs, entre autres à Toronto.

Michel Bédard a déclaré que le concept de la liberté de fumer aurait été remis en question s’il s’était avéré que la nicotine causait la dépendance, ou du moins une dépendance comparable à l’héroïne, une comparaison qu’a pourtant faite en toutes lettres le Dr Everett Koop, Surgeon General des États-Unis, dans son rapport de mai 1988.

Me Lespérance a causé un petit embarras au très disert Michel Bédard en lui mettant sous le nez un communiqué de presse émis en 1988 par son organisation, un communiqué où celle-ci est allée jusqu’à prétendre qu’il n’y avait à date aucune étude qui prouvait que le tabagisme causait la dépendance.

Dans un autre communiqué, M. Bédard accuse le gouvernement du Québec de mentir aux fumeurs en prétendant que le tabagisme est une cause majeure du cancer du poumon (pièce 216), reconnaissant seulement qu’il pouvait être un co-facteur.

Calendrier

M. Bédard revient aujourd’hui, pour être interrogé par Me Bruce Johnston, et sera suivi de l’ancien vice-président aux relations publiques d’Imperial Tobacco, Michel Descôteaux, qui a témoigné en mars, et qui sera de retour.

Demain, mercredi, l’ancien président de la compagnie, Jean-Louis Mercier, viendra terminer son témoignage.  Jeudi, l’ancien vice-président au marketing d’Imperial, Anthony Kalhok, reviendra devant la Cour, cette fois-ci pour y être interrogé par les représentants du Procureur général du Canada, défenseur en garantie dans cette affaire.  Le mois de mai verra ensuite défiler à la barre d’autres anciens cadres d’Imperial Tobacco.

Hier, le juge Brian Riordan a fait comprendre l’intérêt qu’il accorde à ce que les témoins relatifs aux activités d’une compagnie soient entendus d’un bloc avant que commencent les séries d’interrogatoires de témoins relatifs aux deux autres compagnies : il croit que cela aidera à démêler la responsabilité éventuelle d’un cigarettier de celle d’un autre.

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Pour accéder aux pièces au dossier de la preuve et autres documents relatifs au procès des cigarettiers devant la Cour supérieure du Québec, il vous faut

1- d'abord aller sur le site des avocats des recours collectifs à https://tobacco.asp.visard.ca ;
2- cliquer alors sur la barre bleue intitulée « Accès direct à l'information »;
3- retourner lire le blogue et cliquer sur les liens à volonté.