En avril 1985, celui qui était le haut responsable des
affaires juridiques chez Imperial Tobacco depuis 1972, un membre du Barreau québécois
durant toute sa carrière, Roger Ackman, donnait à Toronto une allocution
détaillée sur le rôle des conseillers juridiques internes des compagnies. Pconv103
Me Ackman y déclarait notamment : « C’est mon avis que si les différents codes
professionnels de conduite sont lus soigneusement, ils fournissent la plupart
des réponses que l’avocat corporatif cherche pour tracer une ligne de conduite
éthique.» (traduction de l’auteur du blogue)
Quand le procureur des recours collectifs Bruce Johnston a
demandé hier (mercredi 4 avril) à l’ancien conseiller juridique en chef d’Imperial
s’il était au courant que la destruction de preuves était contraire à l’éthique
des avocats, Roger Ackman a répondu que non.
Il n’a pas dit qu’il ne s’en souvenait pas, alors que les
remarques « It’s been a long time ago !
» (Cela fait longtemps !), « It’s been
thirty years ! » (Cela fait 30 ans !) ont terminé ou ponctué depuis lundi un
grand nombre de ses réponses en interrogatoire.
(Avertissement : Depuis le début de ce procès, tous les
interrogatoires se déroulent en anglais.
La traduction tentée par l’auteur du blogue est sans prétention
professionnelle.)
Hier, Me Johnston a interrogé l’ancien conseiller juridique
d’Imperial Tobacco à propos de la prétention de sa compagnie de ne pas
encourager les gens à fumer.
« Pourquoi votre
compagnie avait cette politique ?, a demandé le procureur.
Je ne sais pas
pourquoi, a répondu Roger Ackman.
Vous ne savez pas
pourquoi ?, a répété Me Johnston.
C’était un produit
légal », a répondu Ackman.
Abandonnant un moment le personnage de vieillard bourru
qu’il se compose lorsqu’il est dans la salle d’audience ou devant les caméras,
le témoin s’est même permis une fois de persifler.
À une question de Me Johnston, c’est un Roger Ackman rajeuni
qui a répondu que sa compagnie « était
dans les affaires pour faire de l’argent, comme le gouvernement ». Cette remarque inattendue a fait pouffer de
rire une partie de l’assistance habituée au discours des cigarettiers à propos
de leurs « partenaires » gouvernementaux.
Mais le procureur Johnston a surfé sur la vague d’hilarité.
« C’est un produit
légal et vous voulez en vendre autant que possible, alors pourquoi ne pas
encourager les gens à fumer ?
Je ne sais pas, a
répondu Roger Ackman.
Est-ce parce que des
gens meurent d’avoir consommé le produit ?, a suggéré Johnston.
Je ne répondrai pas à
cette question », a conclu Ackman.
Un peu plus tard dans la matinée, Me Johnston a voulu savoir
comment Me Ackman expliquait la contradiction entre des propos du chef des
relations publiques d’Imperial Tobacco, Michel Descôteaux, lorsque l’affaire de
la destruction de documents a éclaté en septembre 1998, et un mémo interne à
propos de trois listes de documents.
En 1998, lors d’une émission à l’antenne de la station de
télévision CFCF de Montréal, Descôteaux a dit que « tout ce que la compagnie a fait était de s’être débarrassé de papier
inutile qui encombrait nos classeurs ». (traduction de l’auteur du blogue)
Roger Ackman, de son
côté, écrivait en juillet 1992 que les documents sujets à une rétention ou à
une destruction avaient été répartis en trois listes. Le vice-président à la recherche et
développement, un scientifique de formation, Patrick Dunn, avait trié les
documents des deux premières listes pour savoir lesquels seraient
détruits. Ackman prenait note que Dunn
allait trier les documents de la troisième liste à son retour de vacance. Dans l’intervalle, les documents de la
deuxième liste destinés à être détruits seraient acheminés à Me Simon Potter,
un avocat externe embauché par Imperial, qui avait déjà accompli la besogne
pour la première liste.
Me Johnston a voulu savoir du témoin Ackman pourquoi toute
cette procédure juste pour faire de l’espace dans les classeurs. Ce dernier a répondu qu’il ne savait pas ce
que cela signifie.
« Pourquoi les
documents ont été expédiés à un avocat externe après avoir été divisés en trois
listes ? a demandé Johnston.
Je n’en ai pas de souvenir, a répondu Roger Ackman.
Est-ce que cela a à
voir avec leur caractère plus ou moins compromettant ?, a suggéré Me Johnston.
Je ne crois pas que
j’ait vu les documents, alors je ne sais pas », a répondu l’ancien chef des
affaires juridiques d’Imperial.
Me Johnston a demandé à Roger Ackman s’il était d’accord
avec l’idée qu’Imperial avait l’obligation de connaître ses produits et
l’obligation de ne pas supprimer des preuves [que ces produits sont
dangereux].
« Autant que je sache,
les documents existent encore », a aussi mentionné Roger Ackman, avant de
préciser, un peu plus tard dans l’interrogatoire :
« Nous y avions accès
en tout temps. Si Imperial les demandait
[à
la maison-mère British American Tobacco], ils
nous les retournaient.
Et si des
plaignants les réclamaient ?, a demandé Me Johnston.
Je n’ai
pas de réponse à cela », a répliqué l’ancien conseiller juridique en
chef d’Imperial.
Lorsque le procureur des victimes du tabac a demandé à Roger
Ackman s’il était au courant que la plupart des fumeurs ont commencé avant
l’âge de 18 ans, ce dernier a répondu que non.
Me Johnston lui a alors demandé si de savoir cela aurait changé
ses réponses données plus tôt durant l’interrogatoire.
« Les gens font des
choix. C’est un produit légal. Je ne fais pas de choix pour eux, a déclaré
Me Ackman, d’un ton catégorique.
Alors
c’est LEUR problème ?, a demandé Johnston.
C’est LEUR
problème », a répondu l’ancien conseiller juridique en chef d’Imperial
Tobacco.